Dans
l’éducation, le
marché veut tout dominer. A Vancouver s’est tenu
en mai 2000 le premier World Education Market. La Banque mondiale y
déclarait, à propos de
l’école, que son but est de « favoriser
le développement des transactions commerciales ».
Rien que pour l’OCDE, le marché est
évalué à 875 milliards
d’euros par an, soit autant que le marché mondial
de l’automobile. De quoi aiguiser
l’appétit des grands groupes mondiaux, aussi bien
américains qu’européens. On retrouvait
ainsi à Vancouver Mattel (fabricant de Barbie ! ), qui a
acheté pour près de 24 milliards de francs la
société The Learning Company, qui
détient 42% du marché des logiciels
éducatifs aux USA. En France, le premier éditeur
scolaire, Hachette, est une filiale du groupe Matra,
intégré dans le consortium européen
EADS : numéro 2 mondial pour les missiles, les
hélicoptères de combat, les avions de chasse et
les satellites militaires. L’éducation est entre
des mains bien dangereuses…
Nos dirigeants ont totalement accepté cette logique.
François Blamont, dirigeant d’Edufrance (institut
public-privé fondé par Allègre en
octobre 1998) déclarait lors de ce même
marché : « Certains restent réticents
à l’idée de vendre des formations. Moi
je pense que tout cela est dépassé : nous sommes
embarqués dans un mouvement inéluctable de la
maternelle à l’université.
Après tout, il existe déjà en France
des écoles privées qui délivrent des
diplômes … Le privé devant allier
profit et éthique ». L’avertissement est
très clair, après la Poste, les
télécoms, la santé…ils
veulent détruire le service public
d’éducation. François Blamont rajoutait
: « les ennemis, ce sont les profs qui estiment que
l’enseignement doit être 100% public » !
Dernière annonce en date, le 28 juin 2000, à la
veille des vacances, le ministre Jean Luc Mélenchon
dévoilait la création de 172 licences
professionnelles pour la rentrée. Ce qu’il appelle
« une révolution culturelle » signifie
en fait une soumission plus grande de l’université
aux besoins du marché. Par exemple, à Marne la
Vallée, où se trouve Disneyland,
l’université ouvre une licence «
Nouvelles activités du tourisme et de la restauration
». A Amiens, où s’installent de nombreux
centres d’appels
(télémarketing…), c’est une
licence « Métiers des
télé-services ». Il y a aussi des
licences « Chef de rayon de grande surface »,
« Vente immobilière ». Chaque licence
professionnelle va être liée aux entreprises de la
région : licence Michelin à Clermont-Ferrand,
licence Peugeot à Sochaux…
Ces licences, aux contours très flous, comprendront beaucoup
moins de cours théoriques que les licences actuelles et un
stage en entreprise de 3 ou 4 mois. Leurs contenus ont
été évalués par une
commission d’habilitation composé pour 50%
d’entreprises, sans aucune norme précise et dans
la plus grande discrétion. Son directeur, Pierre Clavelanne,
parle de « l’avènement de
l’ère des diplômes
biodégradables » ! On prétend que cette
réforme est une solution au chômage des jeunes.
C’est faux. Les raisons de cette réforme sont bien
plus mercantiles.
Avec les licences professionnelles, le contrôle des
entreprises va être direct, en particulier sur le contenu des
études. En effet, le jury d’examen doit
être composé au minimum de 25% de «
professionnels », or il est moins rentable
d’étudier Shakespeare que Windows (en tapant, je
constate d’ailleurs que le correcteur orthographique de Word
97 accepte Windows mais pas Shakespeare, faites le test…).
Les attaques sur l’éducation publique sont
directement liées aux transformations actuelles du monde du
travail. Avec la réforme de l’Unedic (assurance
chômage), le patronat veut imposer des conditions de travail
dignes du 19ème siècle, avec en particulier le
Contrat à durée maximale. La
précarité, la flexibilité ne cessent
de se développer. Le diplôme «
biodégradable » est le corollaire du travail
jetable, que les patrons nomment « employabilité
». Ceci est aggravé par la multiplication des
stages en entreprise qui se réduisent bien souvent
à du travail gratuit. Les licences professionnelles ne vont
pas préparer de meilleurs débouchés,
au contraire. Ces licences professionnelles sont de simples BTS-DUT
allongés d’un an, et n’auront plus rien
à voir avec les licences générales
actuelles.
Taux
de chômage (mars
1999) Salaire
médian 1999
BTS
11,2
%
7200 F
DUT
10,4
%
7200 F
Niveau licence maîtrise
(sans diplôme)
10
%
8000
F
Titulaire licence
ou maîtrise
9
%
9000
F
( source Centre d’Etudes et de Recherche sur
les Qualifications)
Ce
tableau montre pourtant que c’est bien
l’enseignement général qui
protège le mieux du chômage et qui garantit de
meilleurs salaires.
L’offensive patronale est
généralisée à toute
l’école publique. Il y a 15 ans, Jean Pierre
Chevènement, alors ministre de
l’éducation, annonçait
l’objectif de 80% d’une classe
d’âge au bac. Pourtant, pour la première
fois depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, on
assiste à l’arrêt du processus
d’élévation
générale des niveaux d’instruction, au
recul de l’enseignement général. En
France, en 1996, le nombre de bacheliers a diminué, passant
de 63 à 61% d’une classe d’âge
(on est encore loin des 80% ! ). Qui plus est, le bac
général subit un net recul au dépend
des bacs « professionnels » : en 1995, 64%
d’entre eux passaient un bac «
général », ils
n’étaient plus que 55,7% en 1996, les bacs pro
passant eux de 6,3 à 15,7% (Evénement du Jeudi,
24 avril 1997). A Paris, les surgelés Picard sponsorisent
même des activités éducatives dans les
écoles maternelles…
Pourtant, on a présenté les enseignants qui
luttaient contre la politique libérale
d’Allègre comme des conservateurs, des
immobilistes. Ces réformes seraient nécessaire
pour « moderniser »
l’éducation.
Les analyses de Nico Hirtt et Gérard de Selys permettent de
dévoiler les enjeux actuels à propos de
l’éducation.
« Depuis le milieu des années 80, les
systèmes d’enseignement des pays
industrialisés – et au premier rang ceux des pays
européens – sont pris dans un tourbillon de
réformes. Au nom, tantôt de la « lutte
contre l’échec scolaire »,
tantôt de la « débureaucratisation
», tantôt encore de «
l’adaptation aux exigences de la
société post-industrielle », les
milieux politiques et économiques stigmatisent les
systèmes d’enseignement centralisés et
uniformes issus des années 50-70, ces systèmes
qui avaient pourtant rendu possible une massification menée
au pas de charge… Ni le hasard, ni les effets de mode ne
peuvent évidemment expliquer une si forte convergence des
politiques éducatives. Plusieurs années
d’investigations dans les textes de l’OCDE, de la
commission européenne ou de la Table ronde des industriels
européens, la lecture de dizaines de discours
ministériels et de rapports d’organismes patronaux
et gouvernementaux ont forgé notre position :
derrière les « réformes » et
le paravent du discours qui les accompagne, se profile une mutation
radicale des systèmes d’enseignement. A
l’ère de la globalisation, les savoirs et les
compétences sont plus que jamais des armes dans la
compétition économique. Or, les conditions de
cette compétition ont été
profondément et durablement bouleversées par la
crise même. Voilà pourquoi
l’école, le collège,
l’athéné, le gymnasium, la
comprehensive school ou la grunskole sont, eux aussi,
invités à changer. Faire de l’Ecole une
machine à couler les jeunes dans les moules du
marché : telle est la stratégie, à
peine cachée, du patronat européen. »
(Les nouveaux maîtres de l’école,
l’enseignement européen sous la coupe des
marchés. Ed. EPO. p. 7-10)
Plus
que partout ailleurs, la France a connu de
très intenses luttes politiques touchant
l’éducation : la Révolution
française, la lutte pour la laïcité, mai
68, décembre 86…
Aujourd’hui encore, suite aux nombreuses
résistances de ces dernières années,
la privatisation de l’éducation n’est
pas aussi avancée en France que dans le reste de
l’Europe. La résistance actuelle des
lycéens et des enseignants complique encore plus la
tâche de ceux qui veulent dominer le monde. Cela ne suffira
pourtant pas à les stopper, aux contraire leurs projets
deviennent de plus en plus cauchemardesques. En effet, la course
à la compétitivité
exacerbée - la guerre économique - ne cessera pas
de peser sur l’éducation. En février
1996, l’OCDE publiait un rapport : «
l’apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la
présence permanente d’enseignants mais il doit
être assuré par des prestataires de services
éducatifs », c’est à dire par
des entreprises privées vendant à chaque
travailleur un ordinateur, les logiciels pour qu’il puisse
apprendre à distance, pour un coût
estimé à 30 000 francs par an. Le rapport
continue : « Les enseignants qui subsisteront
s’occuperont de la population non rentable » et
préconise « un engagement plus important de la
part des étudiants dans le financement d’une
grande partie des coûts de leur éducation
».
C’est un véritable retour en arrière de
plus d’un siècle. Face à cela, on voit
émerger une vague mondiale de résistance. Edgar
Morin écrivait en novembre 1999 : « le
21ème siècle débute à
Seattle », trois mois plus tard, le plus grand mouvement
enseignant éclatait. Un an auparavant, Allègre
pouvait déclarer que les grèves enseignantes
étaient « sans motif », qu’il
voulait « instiller cet esprit d’entreprise et
d’innovation qui fait défaut dans le
système éducatif français »
car « je suis convaincu qu’il s’agit
là du grand marché du 21ème
siècle » (Les Echos, 3 février 1998).
Pourtant, c’est un autre esprit qui s’est
propagé dans les écoles : la grève.
Les enjeux sont globaux, économiques et politiques. Le sort
de l’école dépend de celui de la
société. Or, la faiblesse de
véritables débats politiques dans les
différents mouvements enseignants est
jusqu’à présent assez forte. On a vu se
multiplier les livres sur l’éducation mais, sauf
exception, ils ne vont pas plus loin que le constat « les
profs souffrent ». Les explications à ce malaise
peuvent déboucher sur les idées les plus
dangereuses, comme le livre Sale prof qui réduit la question
à un conflit avec les « jeunes des banlieues mal
éduqués ». Cette brochure veut
contribuer à l’émergence d’un
véritable débat politique sur
l’éducation et la société.
Elle s’adresse à ceux qui pensent que
l’école n’est pas une marchandise, qui
veulent combattre pour mettre en échec ceux qui veulent
dominer le monde.
Durant
plus de 1000 ans, la justification des
inégalités sociales était simple : la
noblesse dominait en raison de son «sang » et de la
«grâce divine ». En 1789, tous les
privilèges furent abolis, partout s’affichait le
mythique « liberté, égalité,
fraternité ». Pourtant, la Révolution
française ne signifia pas du tout la fin réelle
des inégalités et des privilèges, au
contraire. Par contre, la Révolution française
donna naissance à de nouveaux mythes afin de
légitimer l’arrivée au pouvoir
d’une nouvelle classe dominante : la bourgeoisie. Au
cœur de cette nouvelle idéologie, qui a
profondément marqué le développement
de la France depuis 200 ans, on trouve un concept : «
l’Ecole républicaine ». « Tous
les hommes sont libres et égaux en droits », cela
signifie que tous vont être à
égalité devant l’école, donc
la sélection se fera de manière «
juste, égalitaire », la fameuse «
égalité des chances », puisque ce sont
les plus méritants qui réussissent. La
Révolution française se traduisit par
l’éclosion de l’idée,
totalement nouvelle à l’époque, que
l’éducation est un pilier de la
démocratie, qui doit réduire les
inégalités sociales.
En 1775, Diderot demandait la mise en place d’ «
une éducation publique dans toutes les sciences »,
affirmant qu’ « instruire une nation,
c’est aussi la civiliser ».
« La constitution de 1791 pose le principe d’une
instruction publique, gratuite et commune à tous les
citoyens. Les 20 et 21 avril 1792, le philosophe et
mathématicien Condorcet présente à
l’Assemblée son rapport sur
l’instruction publique pour donner corps au principe ainsi
posé. Il prône un enseignement laïque,
gratuit, non obligatoire, divisé en cinq degrés
(primaire, de 9 à 13 ans ; secondaire, de 13 à 16
ans ; instituts, de 16 à 21 ans ; lycées,
à partir de 21 ans et au-delà ;
société des sciences et des arts enfin, sorte
d’académie couronnant le système), avec
sélection des élèves au
mérite et continuité du cursus scolaire.
» (Un siècle d’école
républicaine, JM Gaillard, Points Seuil, p. 12)
Le projet de Condorcet n’eut bien sûr pas la
possibilité d’être mis en place, au
contraire. En terme d’éducation, le retard, si la
Révolution le rattrape dans les textes, elle
l’aggrave en pratique. La Révolution
française n’a aucun impact immédiat
pour éduquer les millions de paysans et les pauvres des
villes. Par contre, l’idéologie
éducative de la Révolution française
va s’ancrer profondément dans les esprits.
L’éducation, offrant à chacun la chance
de réussir selon ses possibilités naturelles, est
devenue la justification de la réussite sociale.
En réalité, il apparaît clairement que
l’éducation a été
l’outil depuis 200 ans pour reproduire les classes sociales.
Une étude récente montre ainsi que depuis 50 ans
« l’éducation n’est pas le
gage d’une réduction des
inégalités dûes aux origines sociales
».
« Considère-t-on que la
société française est
aujourd’hui plus égalitaire qu’en 1950
parce que le taux d’équipement des
ménages en réfrigérateur est
désormais proche de 100% ? ». « Plus une
série présente un recrutement populaire, plus la
prolétarisation de son recrutement tend à
augmenter, si bien que les écarts sociaux entre les
séries bourgeoises et populaires augmentent de
façon sensible (entre 1984 et 1994) ». «
Dans l’enseignement supérieur, la
diversité des filières assure, plus encore que
dans le second degré, une
homogénéisation sociale des publics scolaires.
Entre 1984 et 1994, la part d’enfants de cadres montait de 38
à 43% dans les classes préparatoires aux grandes
écoles, tandis qu’elle baissait de 32 à
30% dans les universités. Les grandes écoles
fonctionneraient donc de plus comme une machine à reproduire
des élites ». « Les
inégalités vont perdurer tant que certains
groupes sauront mieux repérer les placements scolaires les
plus rentables ». (Libération, 22/04/2000)
Le constat est clair, la réussite scolaire dépend
de l’origine sociale. C’est un constat que faisait
déjà Pierre Bourdieu avec la publication en 1964
des Héritiers, où il démontait
brillamment les mécanismes de reproduction sociale de
l’école républicaine.
La plupart des sociologues et des historiens sont obligés de
reconnaître que jamais l’éducation
n’a permis de bouleverser véritablement les
hiérarchies sociales. L’INSEE a ainsi
démontré qu’en France, la
mobilité sociale n’a pas changé : la
probabilité pour un enfant de cadre d’obtenir un
diplôme supérieur, comparée
à celle d’un enfant d’ouvrier, est
toujours d’à peu près huit chances sur
dix, comme il y a 30 ans (INSEE-Première, n°469,
juillet 1996)
Il y a une contradiction énorme entre l’objectif
affiché depuis 200 ans par l’Etat en
matière d’éducation et le
résultat réel. Le système «
à deux vitesses », que les gouvernements
successifs ne cessent de dénoncer tout en
l’entretenant, n’a bien sûr pas
cessé de se transformer en même temps
qu’il se perpétue depuis les débuts de
l’école républicaine (voir Un
siècle d’échecs scolaire (1882-1992),
Patrice Pinelli et Markos Zafiropoulous, Les Editions
Ouvrières).
Ce constat, l’école reproduit les classes
sociales, certains n’hésitent pas à
l’utiliser pour trouver une justification biologique aux
inégalités. En 1995, le livre
américain The Bell Curve n’hésitait pas
à conclure que les écarts de réussite
scolaire entre les noirs et les blancs démontrait que les
blancs étaient génétiquement
supérieurs aux noirs. Ce type
d’idéologie permit de justifier la destruction des
services publics (éducation, santé, aide sociale)
: « cela ne sert rien de les aider, puisque quoi
qu’on y fasse, ils seront toujours incapables de
s’en sortir ». Ces théories sur les
inégalités héréditaires ont
été largement utilisées par Reagan et
Thatcher et tous les propagandistes du libéralisme comme
Milton Freidman. Les conséquences de cette foi en une
inégalité « naturelle » sont
extrêmement dangereuses :
« Richard Herrnstein, de Harvard, un des
idéologues les plus actifs de la «
méritocratie » explique : « Les classes
privilégiées du passé
n’étaient probablement guère
supérieures, biologiquement, aux
déshérités, et c’est
pourquoi les révolutions pouvaient avoir des chances de
succès. Mais en détruisant les
barrières artificielles entre les classes, la
société a encouragé la
création de barrières biologiques. Et lorsque les
gens auront trouvé leur niveau naturel dans la
société, les classes supérieures
auront par définition, de plus grandes aptitudes que les
classes inférieures. » L’explication est
on ne peut plus claire… Les révolutions
bourgeoises ont réussi parce qu’elles ne faisaient
que briser des barrières artificielles ; les nouvelles
révolutions sont inutiles parce qu’on ne peut pas
briser des barrières naturelles. On ne voit pas
très bien quel principe biologique garantit que des groupes
biologiquement « inférieurs » ne peuvent
pas prendre le pouvoir aux groupes biologiquement «
supérieurs », mais il est clair que les
hiérarchies « naturelles » semblent
s’être dotées de quelques
propriétés très
générales de stabilité. En donnant cet
éclairage à l’idée
d’égalité, le déterminisme
biologique la convertit, d’idéal subversif
qu’elle était, en légitimation et en
moyen de contrôle social. Les différences au sein
de la société sont justes et
inévitables parce qu’elles sont naturelles. Donc,
il est à la fois physiquement impossible et moralement
condamnable de changer fondamentalement le statu quo ». (Nous
ne sommes pas programmés Richard Lewontin, Steven Rose,
Léon Kamin, Ed. la Découverte p.86)
Les nazis n’hésitèrent pas à
pousser ces théories jusqu’au bout, assassinant 6
millions de personnes des groupes dits «
inférieurs ».
Ces arguments peuvent sembler d’un autre âge, on
continue pourtant à les utiliser pour justifier la faillite
de l’école devant la réduction des
inégalités sociales. Ainsi, la loi
d’orientation française de 1989, à
l’époque le ministre de
l’éducation s’appelait Lionel Jospin,
mentionne que « les élèves
élaborent leur projet d’orientation en fonction de
leurs aspiration et de leurs capacités ». Le
ministre de l’éducation de Tony Blair, David
Blunkett, est plus explicite : « la recherche
d’égalité des chances s’est
parfois transformée en une tendance à
l’uniformité. L’idée que tous
les enfants ont les mêmes droits de développer
leurs aptitudes a trop rapidement conduit à la doctrine que
tous ont les même aptitude ». Les aptitudes de
départs étant différentes, il est
normal que l’école soit inégale et
hiérarchisante. Cette théorie des «
dons » permet de justifier les
inégalités, celles-ci étant naturelles
et non plus sociales. Ces dernières années, on a
ainsi assisté au développement d’un
racisme ambiant dans l’Education nationale. Les IUFM sont les
instituts chargés de la « formation »
des enseignants, or récemment, en plein cours, un ancien
inspecteur n’a pas hésité à
parler de « gestion ethnique » des
élèves. En privé, certains ne se
gênent pas pour dire « de toute façon,
les noirs, à part en sport, on ne peut rien en faire
» ! Tout est bon pour trouver de fausses raisons à
l’échec scolaire, à la
ségrégation sociale. Comme le montrent de
nombreuses études, les élèves ne sont
pas plus bêtes, mais c’est le système
éducatif, par ses modes de fonctionnement, par son
caractère profondément inégalitaire,
qui crée l’échec scolaire (voir Gilbert
Molinier, La gestion des stocks lycéens,
L’Harmattan). Les inégalités
n’ont rien de naturelles, elles sont sociales.
L’idéologie dominante s’appuie
constamment sur l’argument du rôle
égalitaire de l’éducation.
C’est un mythe complet. Depuis 200 ans, le système
éducatif a toujours été
divisé en deux : une école de masse,
n’offrant pas d’autre possibilité que de
vendre sa force de travail à la sortie, et un
système élitiste pour les enfants de la classe
dirigeante. Bien sûr, cette division n’est pas
aussi mécanique dans la réalité, mais
bien souvent, quand on parle de quelques fils d’ouvriers ou
d’immigrés qui ont réussi Polytechnique
ou HEC, c’est pour faire oublier que 90% des
élèves de grandes écoles viennent des
couches supérieures de la population. C’est
l’exception qui confirme la règle.
Certains ont pu croire, avec la prospérité
économique des Trente Glorieuses, que
l’éducation s’était
démocratisée : en 1946, moins de la
moitié des jeunes de 14 ans étaient
scolarisé alors qu’aujourd’hui plus
d’un jeune sur deux est en cours
d’études à l’âge de
20 ans (INSEE-Première, n°488, septembre 1996).
Effectivement on a assisté a une
élévation générale du
niveau scolaire, en particulier dans les pays
industrialisés, mais cela n’a rien
changé de la répartition des
différentes couches sociales. On a assisté
à une « massification sans
démocratisation » de
l’éducation, l’institution scolaire
reproduisant simplement les classes sociales.
« Elle trouve son origine dans les conditions économiques de l’époque. Durant les années 45-75, sous la double pression d’une croissance exceptionnelle et d’innovations technologiques – électroménager, transports, nucléaire, industrie chimique – le marché du travail a connu une forte croissance en volume ainsi qu’un glissement vers des emplois nécessitant des niveaux de qualification de plus en plus élevés. A son tour, cette évolution a alimenté une demande croissante en formation et en instruction… Insistons sur le terme : c’est bien de massification qu’il convient de parler et non de démocratisation de l’enseignement, bien que le discours officiel se plaise à confondre les deux concepts ».(Les nouveaux maîtres de l’école, Nico Hirtt, p.11).)
II – LA
CRÉATION DE L’ÉCOLE DE MASSE
L’école
républicaine est proclamée en 1792, mais elle met
près d’un siècle pour devenir
réalité, enjeu de luttes politiques importantes
tout au long du 19ème siècle.
L’époque de Jules Ferry (les années
1880), à laquelle est fondée
l’école publique, est devenue un
véritable mythe qui a marqué très
profondément le développement de
l’éducation jusqu’à nos
jours. Ce mythe tient à présenter
l’école comme une institution neutre, un
sanctuaire, préservé des luttes religieuses,
philosophiques ou politiques. L’origine et
l’histoire de l’école de Jules Ferry
sont pourtant tout à fait différentes.
Elle prend sa source dans la Révolution
française. La révolution est le produit de la
lutte entre deux classes sociales : la noblesse, alliée au
clergé, et la bourgeoisie. Le 18ème
siècle voit l’épanouissement de cette
nouvelle classe sociale, qui tient sa richesse non de la terre, mais de
ses investissements dans le commerce et l’industrie.
Même si la majorité de la population reste
agricole, travaillant la terre de la même manière
que les 1000 années précédentes, le
salariat se développe, aux dépens du servage. Des
villes comme Bordeaux, Nantes se développent grâce
au commerce d’esclaves et à
l’émergence d’une véritable
industrie (chantiers navals, filatures…). Les forges du
Creusot regroupent en 1750 environ 5000 travailleurs. Alors que la
bourgeoisie a un pouvoir économique de plus en plus grand,
elle est freinée dans son développement par la
noblesse qui, grâce à son pouvoir politique, vit
« aux crochets de la bourgeoisie ». Ce conflit est
patent dans le domaine des idées. La noblesse
s’appuie sur l’ignorance,
l’obscurantisme, la religion qui justifient sa domination.
Les Lumières vont brillamment lui opposer la Raison et
l’éducation.
((à mettre en note)« Solennellement
proclamés, toujours invoqués, par les uns avec
enthousiasme, avec ironie par d’autres, par
l’immense majorité avec un respect profond, les
principes sur lesquels la bourgeoisie révolutionnaire a
construit son œuvre, se veulent fondés sur la
raison universelle. Ils ont trouvé leur expression
retentissante dans la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ». (Albert Soboul, La
révolution française, Gallimard, p.183))
Après avoir battu la noblesse dans le domaine
économique et idéologique, la bourgeoisie va
définitivement prendre le pouvoir politique à
l’occasion de la Révolution de 1789. Afin de
mobiliser les masses populaires à ses
côtés dans la lutte à mort contre
l’aristocratie, la bourgeoisie développe une
politique extrêmement radicale. La proclamation
d’une école laïque et gratuite va
être importante pour mobiliser les couches populaires. En
effet, la soif de connaissance de la part du peuple était
immense. Les masses populaires, jusqu’à
présent sevrées d’idées,
furent extrêmement actives durant le révolution.
Dans les villes des centaines de clubs politiques se
créèrent. Combiné au
développement des techniques d’impression, cela
permit l’émergence des premiers journaux
populaires politiques (Le Père
Duchêne…). Mais une fois les grands principes
affirmés, la politique concrète est bien
différente. Ainsi la bourgeoisie ne cesse
d’invoquer le grand principe de Liberté, mais le
14 juin 1791 elle vote la loi Le Chapellier, interdisant aux citoyens
d’une même profession, ouvriers ou artisans, de
nommer des présidents, secrétaires ou syndics et
de « prendre des arrêtés ou
délibérations sur leurs prétendus
intérêts communs ». Bref, alors que la
colère ouvrière se développait, la
bourgeoisie interdit le droit de grève et
d’association. La notion de liberté, tant mise en
avant, se réduit à la liberté de
commerce et d’exploitation .
La Révolution a été limitée
tout au long par la défense de la
propriété privée : une nouvelle classe
minoritaire, la bourgeoisie, a simplement remplacée
l’aristocratie. A la Convention, Robespierre
déclara le 24 avril 1793 «
l’égalité des biens est une
chimère ».
Le grand historien Albert Soboul souligne la nature de la
Révolution de 1789 : « A l’Etat
absolutiste d’ancien régime, fondé sur
la théorie du droit divin et garant des
privilèges de l’aristocratie, la
Révolution substitua un Etat libéral et
laïque, fondé sur les principes de la
souveraineté nationale et de
l’égalité civile.
L’application censitaire de ces principes mit les nouvelles
institutions en harmonie avec la structure sociale issue de la
Révolution : l’Etat nouveau ne pouvait
être qu’Etat bourgeois, garant des
prérogatives de la nouvelle classe dominante ».
(Soboul, p. 530)
L’éducation ne fit pas exception. Toutes les
richesses de l’Etat étaient mobilisées
pour la guerre, les grands projets d’éducation
furent rapidement remisés aux oubliettes.
Le premier système éducatif de masse se met en
place entre 1805 et 1848.
C’est Napoléon Ier qui pose les données
du problème : « Pour lui, l’enseignement
est une affaire d’Etat, son but, éminemment
politique, est d’unifier la nation et ses habitants autour de
quelques principes essentiels dont la responsabilité
échoit à l’Université,
crée par la loi du 10 mai 1806 et doté du
monopole de l’enseignement. L’objectif est clair.
La France est divisée par la Révolution. La
guerre civile menace. Il faut donc réconcilier les
français. L’école sera le vecteur de
cette réconciliation ». (JM Gaillard, Le Monde de
l’Education, juillet-août 2000)
Cette fameuse « réconciliation »
signifie surtout la mise en œuvre d’une politique
au service de la bourgeoisie : Napoléon mène
pendant 15 ans une guerre de conquêtes qui fera des centaines
de milliers de morts. Napoléon est beaucoup plus pragmatique
que les révolutionnaires de 1789. Il fait preuve
d’un cynisme sans borne, déclarant : «
La société ne peut exister sans
l’inégalité des fortunes, et
l’inégalité des fortunes ne peut
exister sans la religion. Quand un homme meurt de faim à
côté d’un autre qui regorge, il lui est
impossible d’accéder à cette
différence s’il n’y a pas là
une autorité qui lui dise : « Dieu le veut ainsi,
il faut qu’il y ait des pauvres et des riches dans le monde
» ; mais ensuite, et pendant
l’éternité, le partage se fera
autrement ». Une autre fois, il n’hésita
pas à dire « La religion rattache au ciel une
idée d’égalité qui
empêche que le riche ne soit massacré par le
pauvre ». (dans Bourgeois et bras-nus, D Guérin,
ed. Les Nuits Rouges, p.41)
Menacé lors de la Révolution
française, le clergé, bastion des
réactionnaires, est remis en selle par Napoléon.
Le clergé catholique va être très
présent dans la mise en place d’un
système scolaire national. En 1789, l’ordre des
Frères des Ecoles Chrétiennes, qui accueillait
gratuitement des garçons pauvres, avait ouvert des
écoles dans 116 villes et scolarisait quelques dizaines de
milliers d’écoliers. En 1847, on compte
déjà un total de 63 000 écoles
publiques et privées. C’est
l’époque de la révolution industrielle.
La Restauration n’est pas un retour à la situation
d’avant la Révolution française.
L’aristocratie qui est au pouvoir jusqu’en 1848 (on
pourrait rajouter le règne de Napoléon III),
mène une politique totalement en faveur du nouvel ordre
économique. Les aristocrates du 19ème
siècle sont banquiers, industriels, commerçants.
Le ministre du roi Louis Philippe, Guizot, institue le 28 juin 1833 la
liberté de l’enseignement primaire. Guizot
considère l’instruction populaire comme une
nécessité économique et une obligation
sociale qui doit être confiée à
l’Etat pour contrer à la fois la dérive
monarchique et aristocratique et les menaces
révolutionnaires. Il ne prône pourtant pas la fin
de l’école privée catholique et la mise
en place d’une école laïque et gratuite :
« ce protestant libéral, qui a
contribué à l’avènement de
Louis Philippe, entame une carrière politique comme ministre
de l’instruction publique, choisit de faire de la concurrence
public/privé un vecteur de l’essor de
l’éducation ». (JM Gaillard)
A cette époque, la fréquentation des classes
populaires reste faible : beaucoup d’enfants travaillent aux
champs ou dans les manufactures. Guizot crée en 1837 les
« salles d’asile », pour les enfants de
deux à six ans, délaissés par leurs
mères à cause du travail en usine. Dans cette
période de boom du capitalisme, si la situation de la
majorité des travailleurs reste dramatique, cette politique
permet en même temps de diminuer significativement
l’analphabétisme (c’est au
19ème siècle que le taux
d’analphabétisme passe, pour la
première fois dans l’histoire, sous la barre des
50%). Napoléon III poursuit cette politique avec le fameux
ministre Falloux, soutien sans faille de l’église
catholique.
Mais la révolution industrielle va signifier
l’émergence des premiers mouvements de
résistance organisée. La nouvelle classe
salariée va commencer à redresser
l’échine, tout d’abord en 1848, et
surtout en 1871 avec la Commune de Paris.
La IIIème république se fonde dans un bain de
sang : afin de défendre la propriété
privée directement menacée par les communards, le
gouvernement de Thiers massacre 30 000 personnes en une semaine en juin
1871. Ce génocide ne suffit pas pour stopper le
développement du mouvement ouvrier. Face à la
croissance des premiers syndicats et des premiers partis socialistes,
les membres les plus éclairés de la bourgeoisie
comprennent qu’il est nécessaire
d’étendre rapidement aux classes laborieuses
l’éducation républicaine. Jules Ferry
déclara clairement : « Dans les écoles
confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement
dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y
exalte l’Ancien régime et les anciennes structures
sociales. Si cet état de choses se perpétue, il
est à craindre que d’autres écoles se
constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans,
où l’on enseignera des principes
diamétralement opposés, inspirés
peut-être d’un idéal socialiste ou
communiste emprunté à des temps plus
récents, par exemple à cette époque
violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871
» (cité dans Le mythe national, Suzanne Citron,
EDI). Les dates qu’il cite sont celles de la naissance et de
l’écrasement de la Commune de Paris par les
Versaillais. L’éducation est devenue un enjeu
majeur. En 1880, il y a 75 000 écoles, scolarisant 5 600 000
élèves dans les salles d’asile et les
écoles primaires publiques ou privées. La
bourgeoisie républicaine veut un système
d’Etat, enfin séparé de la domination
de l’église catholique. En 1881 Jules Ferry fait
voter la loi rendant l’école gratuite et
obligatoire, en 1882 c’est la loi sur la
laïcité de l’enseignement public.
L’école républicaine est enfin
née. En séparant l’école
publique de l’église catholique, Jules Ferry
prétend mettre en place une école neutre et
laïque. Il n’en n’est rien.
Le véritable combat de Ferry allait bien au-delà
de la laïcité. Il fallait que
l’école fût la nouvelle religion du
peuple, l’instruction son nouveau credo. Il fallait donc la
rendre gratuite et obligatoire pour montrer que la scolarisation de
tous était un impératif de l’Etat qui
s’imposait aux familles sous la surveillance d’une
commission municipale scolaire, et assurer cette obligation entre 6 et
13 ans, alors qu’en 1880 encore beaucoup d’enfants
ne fréquentent assidûment
l’école qu’entre 8 et 10 ans. Une
présence plus longue et plus
régulière, voilà le but
recherché pour que l’école joue
efficacement et pleinement son double rôle
d’instruction et d’éducation. (JM
Gaillard) Grâce à
l’éducation, il s’agit de former la
masse de la population, mais aussi d’éviter que la
Commune se reproduise.
Jules Ferry envoie ainsi une lettre aux instituteurs, les fameux
« hussards de la République » :
« Faire aimer la République est une politique
nationale : vous pouvez , vous devez la faire entrer, sous les formes
voulues, dans l’esprit des jeunes enfants ». (dans
Le mythe national)
La prétendue neutralité de
l’école ne fait que cacher le véritable
monopole idéologique qu’exerce le gouvernement sur
l’enseignement. L’école est ainsi mise
au service de la politique colonialiste et militariste de
l’Etat. En 1885, Ferry déclare ainsi à
l’Assemblée nationale que la colonisation est
juste car « les races supérieures ont un droit
vis-à-vis des races inférieures, un droit parce
qu’il y a un devoir pour elles, celui de civiliser les races
inférieures ». (dans Le mythe national). Yves
Gaulupeau, directeur du musée national de
l’éducation, révèle des
aspects qu’on pendant longtemps occulté :
« c’était l’époque
des « bataillons scolaires ». Une invention
républicaine due à Paul Bert et lancée
en 1882. Il s’agissait de profiter du passage des
élèves à l’école
primaire pour leur inculquer à coups d’exercices
militaires des notions de « citoyenneté
patriotique ». Les enfants s’exerçaient
à défiler avec un faux fusil avec
baïonnette en bois, mais ils faisaient aussi des exercices de
tirs à balle réelle, hors de
l’école, dans des stands de
l’armée. Les récompenses, des croix
d’honneur, sont les copies conformes des médailles
militaires et pour les punitions, les martinets ont passablement servi
». (le Monde de l’Education, juillet-août
2000) Pour Jules Ferry, l’école est un moyen pour
« dresser » des masses ignorantes,
dirigées par une élite civilisatrice, la
bourgeoisie républicaine.
L’école va être le moyen de
créer et répandre partout des mythes sur la
nation et l’histoire de France : «
L’image de la France comme une « personne
» est née dans une culture écrite,
transmise de siècle en siècle, au sein
d’une élite de clercs, de nobles,
d’intellectuels aristocrates et bourgeois, dont la
bourgeoisie fondatrice de la 3ème République
était l’héritière. Cette
dernière mit en forme, pour l’école
publique, une vulgate historique de la France une et indivisible
créée par les rois et relayée par la
nation révolutionnaire. Sur la table rase de
l’ancienne religion royale, une religion de la France,
inspirée par la version nationaliste et jacobine de la
Révolution, fut le socle de l’imaginaire
républicain ». (Suzanne Citron , Le mythe
national, p.297). Marx expliquait il y 150 ans
déjà : « Les idées
dominantes sont les idées de la classe dominante
». L’idéologie républicaine
n’échappe pas à cette règle.
L’Etat développe un appareil éducatif
extrêmement centralisé et autoritaire à
son service, avec comme objectif avoué de nourrir le
nationalisme. En 1895 est publiée l’Histoire de
France, un livre qui crée de toutes pièces une
histoire de France raciste, nationaliste, qui est
imprégné de culture catholique, justifiant
totalement les inégalités. Cette «
histoire » est diffusée à des centaines
de milliers d’exemplaires, participant à
l’éducation de millions de Français.
Son auteur, Ernest Lavisse, rédige en 1919 une «
adresse aux élèves de nos écoles
» : « Mes enfants, moi qui vous parle et qui suis
ému en vous parlant puisque vous êtes
l’avenir de la Patrie, je suis un vieillard. Dans quelques
semaines, j’atteindrai ma soixante-dix-septième
année. Pendant près de 50 ans, depuis le
désastreux traité de Francfort, j’ai
vécu dans une France vaincue,
démembrée, humiliée ; J’ai
souffert de la défaite, du démembrement, de
l’humiliation ! J’ai vu que, parce que la France
était vaincue, l’Allemagne se croyait tout permis
; son orgueil et ses ambitions menaçaient le genre humain
». Cette glorification nationaliste et militariste,
écrite au lendemain même du carnage de la
Première guerre mondiale, figurera dans les manuels
scolaires jusqu’à la Deuxième guerre
mondiale.
Jules Ferry n’a jamais voulu une école neutre. Il
a voulu une école au service de la bourgeoisie. La fin du
19ème siècle constitue la période la
plus intense dans la colonisation de toute la planète. Ferry
parle de « civiliser » les colonies, ce
n’est que la simple justification du pillage total de 75% de
la planète. Mais une fois toute la planète
colonisée, les grandes puissances, défendant les
intérêts de leurs industriels, vont finalement
s’affronter militairement. La création de
l’école publique s’inscrit dans cette
phase de développement du capitalisme : besoin de main
d’œuvre plus qualifiée et
création d’une véritable
armée moderne, avec des millions de soldats. Dès
sa création, l’école publique fut
inégalitaire, violente, raciste et impérialiste.
III – L’EXPANSION DE L’ÉDUCATION APRES 1945
L’éducation
subit un profond
bouleversement au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale :
le développement d’un enseignement
supérieur de masse. Jusqu’à cette
époque, le lycée et
l’université n’étaient
réservés, sauf exception,
qu’à une élite, la bourgeoisie. En
1900, on compte 20 000 étudiants, en 1930, 30 000. En 1945,
on atteint 100 000. Mais le phénomène va
s’accélérer, on passe de 200 000 en
1960 à 500 000 en 1967, 680 000 en 1970, pour atteindre 2
millions aujourd’hui (JM Gaillard, Un siècle
d’école républicaine, p.151).
Même si l’accès à
l’enseignement reste profondément
inégalitaire, pour la première fois, des couches
significatives de la classe ouvrière ont accès
à l’enseignement supérieur. Auparavant,
dans une première phase de développement du
capitalisme, le travail intellectuel était
cantonné au contrôle de la production et au
contrôle idéologique de la
société. L’enseignement intellectuel
était alors peu spécialisé et
élitiste. Cette explosion de l’enseignement
universitaire est à relier directement avec les profondes
mutations que va connaître le système au niveau du
processus de production et du travail, débouchant sur une
profonde transformation du travail intellectuel.
On peut identifier trois éléments fondamentaux
qui ont conduit à une intégration directe ou
indirecte du travail intellectuel dans la production.
Le premier est le formidable développement technologique que
connaît le capitalisme lors de la Deuxième Guerre
Mondiale. Hobsbawm écrit dans L’âge des
extrêmes à propos des trente glorieuses (1945-75)
: « Ce qui frappe le plus dans cette période,
c’est à quel point la révolution
technique a paru alimenter cette poussé
économique… Plus qu’aucune autre
période antérieure, l’Age
d’or s’est nourri de la recherche scientifique la
plus avancé et souvent secrète, qui trouvait
désormais des applications pratiques en l’espace
de quelques années. Pour la première fois,
l’industrie et même l’agriculture
s’arrachèrent de manière
décisive à la technologie du 19ème
siècle. C’est un tremblement de terre
technologique » (p.350). De nouvelles industries comme le
nucléaire, l’électronique et
l’informatique, les biotechnologies… vont
nécessiter une force de travail de plus en plus
qualifiée. Sur les nouvelles lignes de production, un
ouvrier ne doit plus simplement savoir lire et écrire, mais
il faut maintenant qu’il sache utiliser une machine-outil
numérique. Parallèlement à la
massification, on voit apparaître des diplômes
techniques supérieurs. Alors que les diplômes
techniques de plus bas niveau (CAP), vont régresser, en 1965
l’Etat crée le bac technique. C’est
à la même époque qu’on
crée les premiers BTS et IUT. L’enseignement des
sciences devient primordial.
Le second élément est
l’intégration des processus de production et le
développement des transports. Prenons l’exemple de
l’industrie textile. Vers les années 1880, le
processus de production était le suivant : la laine venait
d’Australie, elle arrivait par bateau à Anvers,
transportée jusqu’à Roubaix
où elle était filée et
tissée, enfin elle était vendue aux tailleurs en
France qui se chargeaient de la fabrication et de la vente des
vêtements dans de petits ateliers. Aujourd’hui, le
processus est bien plus complexe. Prenons un simple tee-shirt Nike : Il
faut d’abord extraire le pétrole, au Moyen-Orient
par exemple, le transporter jusqu’aux raffineries
européennes, certains produits pétroliers vont
servir de matière premières à une
industrie chimique qui produit des matériaux
synthétiques, ceux ci vont être filés
dans une autre entreprise, le tissage et la découpe se font
souvent dans une autre usine en Europe, utilisant des technologies de
pointe (découpe au laser par exemple), puis
réexpédié par conteneur au Maroc ou en
Asie où les tee-shirts sont cousus, car le coût du
travail non qualifié y est beaucoup plus bas (travail des
enfants…), pour être ensuite
réexpédiés dans les pays occidentaux
où le tee-shirt sera vendu dans une grande surface. On
assiste à une concentration et à une
spécialisation des unités de production, avec en
même temps un accroissement des échanges entre ces
unités. Les étapes pour produire des marchandises
se sont multipliées, nécessitant
l’accroissement des tâches non directement
productives. Ainsi, de nombreux moyens de transport ont
été développés (TGV, avion,
transport routier). Pour assembler une Renault Twingo, les
pièces proviennent de 40 pays. Cela accroît aussi
les tâches de gestion et de vente. L’explosion des
dépenses publicitaires, le développement de la
grande distribution (créée par Leclerc
à la fin des années 50) s’inscrivent
dans ce changement important de la production.
Enfin, la concentration des moyens de production a donné un
rôle plus étendu aux Etats et
développé l’importance du capital
financier. En France, l’Etat devient tentaculaire, employant
20 % de la main d’œuvre totale. Ces deux derniers
éléments entraînent
l’explosion d’un nouveau secteur : le tertiaire
(secrétaires, vendeurs, employés, chercheurs,
enseignants, fonctionnaires). Le rôle de l’Etat est
crucial pour adapter le système éducatif aux
besoins nouveaux du marché. Son intervention dans le domaine
de l’éducation et la recherche est grandissante
Mais la massification ne va pas sans contradictions : « De
par la nature de l’industrialisation
généralisée de toute
activité humaine…, tous les traits traditionnels
de la prolétarisation du travail, qui auparavant
s’appliquaient surtout au travail manuel dans la grande usine
moderne, concernent aujourd’hui, et de plus en plus, le
travail intellectuel, c’est à dire tout travail
salarié qui s’effectue à
l’intérieur et même en dehors de la
sphère de production proprement dite. La
prolétarisation du travail intellectuel implique sa
spécialisation, voire sa parcellisation, son atomisation
à l’extrême…
Connaître à fond un minuscule secteur
d’une branche scientifique en n’ayant que de vagues
données sur l’ensemble de cette branche et manquer
de toute connaissance dans les autres domaines, tel est le sort auquel
est condamné le travailleur intellectuel. Un tel travail
intellectuel parcellisé, fragmenté, ayant perdu
toute vision d’ensemble des activités sociales
où il est inséré, ne peut
être qu’un travail aliéné. La
prolétarisation du travail intellectuel dans les conditions
du salariat conduit inévitablement à son
aliénation… La prolétarisation du
travail intellectuel implique l’apparition d’un
marché de ce travail. Sur ce marché, la force de
travail intellectuel s’achète et se vend comme une
vulgaire marchandise, à l’égal de ce
qui se passe avec la force de travail manuel depuis les origines du
capitalisme. La force de travail intellectuel acquiert un prix de
marché qui fluctue selons les lois du marché
». (Ernest Mandel, Les étudiants, les
intellectuels et la lutte des classes, Ed. La brèche, p.52)
Ces évolutions ne concernent pas seulement le statut du
travailleur intellectuel devenu salarié mais cela exige, de
la part du système, la transformation de son appareil
éducatif. Pour résister à la
concurrence internationale, De Gaulle perçoit bien les
enjeux en termes d’éducation, c’est un
enjeu stratégique : pour faire des Concorde, des centrales
nucléaires, il faut des techniciens, des
ingénieurs… 1959-1965 voit le
développement d’une forte politique de
réforme de toute l’éducation, en
particulier du supérieur. Mais cette massification est bien
loin de la démocratisation : « le plan Fouchet
(ministre de l’éducation sous De Gaulle) de 1963
proposait de réformer l’université dans
une direction technocratique afin de traiter deux types de population :
la masse des futurs cadres moyens de l’enseignement et de
l’industrie, engagés dans des cycles courts, et
une élite de pointe bénéficiant de
cycles longs débouchant sur la recherche »
(Olivier Galland et Marco Oberti, Les étudiants, p.96).
Spécialisation, sélection, professionnalisation
des études et parcellisation du savoir sont des constantes
dans les réformes d’une structure, de par son
origine généraliste et élitiste, mal
adaptée aux nouvelles exigences des entreprises et
à l’afflux massif d’étudiants
: « L’université a
été caractérisée
dès son origine par une tension entre sa mission «
d’institution intellectuelle » dispensant une
culture générale, surtout en lettres et en
sciences humaines, et le soucis de la professionnalisation des
étudiants » (idem, p.81).
Le capitalisme moderne a ainsi développé un
ensemble nouveau et complexe de relations sociales mettant en jeu des
liens étroits entre le processus de production (les bases
économiques) et l’Etat. Il faut
réadapter le système éducatif
à des besoins économiques nouveaux : la
« matière grise » est devenue un enjeu
dans la course technologique et militaire énorme
à laquelle les grandes puissances se sont livrées
durant toute la guerre froide. C’est
déjà ce que soulignait déjà
Marx dans le Manifeste du parti communiste : « La bourgeoisie
ne peut exister sans révolutionner constamment les
instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production,
c’est à dire l’ensemble des rapports
sociaux ; Le maintien sans changement de l’ancien mode de
production était, au contraire, pour toutes les classes
industrielles antérieures, la condition première
de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce
constant ébranlement du système social, cette
agitation et cette insécurité
perpétuelles distinguent l’époque
capitaliste de toutes les autres » (p. 36).
Le boom économique prolongé permet ce
développement sans précédent de
l’éducation, donnant une certaine
crédibilité au discours selon lequel on peut
« progresser » grâce aux
études. Cette massification se combine ainsi avec le
discours selon lequel l’école supprime les
inégalités sociales, qui culmine en 1975 avec la
réforme Haby qui déclare « le
collège unique, égal pour tous ».
Mais cette dynamique est contradictoire. Le but de
l’enseignement s’éloigne de plus en plus
de l’épanouissement des
élèves. L’éducation, loin
d’être un outil de compréhension du
monde et de la société, devient de plus en plus
un outil d’adaptation aux besoins de main
d’œuvre des entreprises. L’enseignement
se parcellise tandis que se réduisent, à
l’université, toutes les marges qui permettent une
vision critique de la société. « Les
conséquences, quand à la nature sociale de
l’étudiant, sont significatives. Comme le choix
des études, qui est de plus en plus
déterminé par les lois du marché, les
besoins du capitalisme, et non par les
préférences, les talents et les aspirations
individuelles des étudiants, ceux-ci deviennent des
apprentis intellectuels de plus en plus aliénés.
Nous en arrivons ainsi à constater que la révolte
étudiante n’est pas seulement le produit de
l’aliénation du travail intellectuel proprement
dit, mais aussi celui de l’aliénation du travail
étudiant en soi » (Mandel, op. cit., p.61).
Si la massification n’a donc en rien bouleversé
les hiérarchies sociales, elle a cependant
profondément changé le rapport entre les
étudiants et l’ensemble de la
société. En 1934, les étudiants
manifestaient aux côtés de
l’extrême droite. La plupart des
étudiants venaient de la bourgeoisie, qui en 1936 choisira
comme mot d’ordre « plutôt Hitler que
Blum ». Mai-juin1968 voit les étudiants lutter aux
côtés des millions de travailleurs en
grève. Partout dans le monde, les campus se
soulèvent contre la guerre du Vietnam. En
décembre 1986, la grève des lycéens et
des étudiants inspire les cheminots qui feront la
même chose en janvier 1987. En 1994, éclate une
nouvelle révolte contre le CIP (SMIC jeunes), soutenue par
la CGT, dont le slogan était : « Papa,
j’ai trouvé un boulot, le tien ». En
prolétarisant le travail intellectuel, le capitalisme pousse
aussi les étudiants à s’unir aux
travailleurs pour défendre leurs
intérêts.
« Loin d’être une
société post-industrielle, le
néo-capitalisme signifie l’industrialisation
toujours plus achevée de toutes les activités
humaines… La prolétarisation du travail
intellectuel, qui aujourd’hui paraît comme le plus
grand triomphe du capitalisme, peut contribuer à
accélérer sa chute. En prolétarisant
le travail intellectuel, le capitalisme donne au prolétariat
une capacité plus grande de rébellion consciente
contre l’exploitation et l’oppression. Et la
rébellion qui devient consciente après avoir
été spontanée et
élémentaire est annonciatrice de la
révolution socialiste » (Mandel,op. cit., p. 58).
IV – L’ENSEIGNANT EST-IL DEVENU UN SIMPLE TRAVAILLEUR ?
Pour
la majorité des gens, il semble
absurde de classer les enseignants parmi les travailleurs. Ils ne se
salissent pas, apparemment il ne produisent pas de marchandises, ils
n’ont pas (du moins pas encore !) de patron privé.
Un syndicaliste enseignant déclarait, afin de justifier son
opposition aux grèves massives de l’hiver 2000,
trop ouvriéristes à son goût :
« L’action syndicale recommandée est
celle de la grève reconductible. Puisant ses racines dans
les pratiques syndicales du monde ouvrier parce qu’il est
nécessaire, et c’est incontestable, de pouvoir
épuiser les stocks de l’entreprise avant de porter
atteinte à sa capacité commerciale
d’honorer ses contrats (ce bureaucrate est d’accord
pour que les autres fassent grève, mais pas dans son secteur
où son attitude fut clairement du côté
des briseurs de grève ! A. B), la grève
reconductible n’a pas de sens dès lors que la
production éducative n’est pas un bien marchand et
qu’il n’y a ni stock, ni capital, ni production, ni
client, ni patron privée » (L’EP juillet
2000)
Cette idée ne réside pas que dans la
tête de quelques bureaucrates syndicaux, elle est bien plus
répandue. Bourdieu, par exemple, parle de « petite
noblesse d’Etat » à propos des
employés de la fonction publique, en particulier des
enseignants, refusant de les assimiler à des travailleurs.
Ces analyses ne relient pas les transformations de
l’éducation à l’ensemble des
bouleversements économiques de ce siècle.
Effectivement, au 19ème siècle, la
majorité des enseignants n’étaient pas
salariés, ils étaient payés (plus ou
moins bien) directement par les parents
d’élèves. Il n’y avait aucune
homogénéité à cette
époque. Dans les années 1930, effectivement, les
enseignants des lycées sont souvent bien plus proches de la
bourgeoisie, mais depuis les années 50, la situation a
radicalement changé.
Si on veut véritablement comprendre le rôle social
de l’enseignant, il faut considérer le
système dans son ensemble. Le capitalisme moderne
nécessite une main d’œuvre
qualifiée. Il n’est pas possible de mettre sur le
marché un produit sans recourir à des
études techniques, sans le travail
d’ingénieurs… Il n’est pas
possible de lancer une production sans développer un
système informatique, il faut donc des
techniciens… Même les armées modernes
font maintenant appel à des systèmes
d’armes technologiques, qui nécessitent des
militaires hautement qualifiés. On peut dire à
une échelle générale que le
capitalisme moderne ne pourrait pas fonctionner sans un
système d’éducation
développé.
Chaque entreprise, pour résister à la
concurrence, est continuellement poussée à
investir dans de nouvelles machines pour augmenter la
productivité. Les unités de production se
concentrent, font appel à des techniques de plus en plus
complexes. Les conséquences sont contradictoires : la
quantité de travail pour produire une même
marchandise baisse, mais la qualification de celui ci tend à
augmenter. Par exemple, prenons une tâche comme le
secrétariat. Il y a 100 ans, la qualification
nécessaire était de savoir lire,
écrire, compter et manier une plume. Puis on inventa la
machine à écrire, qui augmente la vitesse
d’écriture, mais qui nécessite
l’apprentissage de nouvelles compétences. Dans les
années 50, on vit ainsi proliférer les fameuses
écoles Pigier, qui répondaient à ce
besoin de formation. Aujourd’hui, cette même
tâche s’est encore complexifiée : il
faut savoir utiliser un ordinateur, utiliser les moyens modernes de
communication, bien souvent deux langues sont indispensable. Les
secrétaires actuelles sont ainsi souvent titulaires
d’un BTS (bac+2). Le travailleur moderne doit donc
être formé. C’est cette
nécessité de formation de masse qui permet de
comprendre que l’enseignant participe, pas directement mais
cependant de manière cruciale, à la production de
marchandises. Marx montrait que sous le capitalisme la production
n’est plus le fait de travailleurs individuels : «
Les travailleurs parcellaires ne produisent pas de marchandises. Ce
n’est que leur produit collectif qui devient marchandise
» (Marx, Le Capital, Livre I, Flammarion, p.266). Ceci
signifie qu’on ne peut pas considérer comme
travailleurs simplement ceux qui sont directement impliqués
dans la production, comme les ouvriers industriels. La production
nécessite de mettre en relation étroite les
différentes unités de production afin
qu’elles puissent échanger des marchandises ou des
matières premières. Ainsi, un employé
de maintenance d’autoroute va jouer un rôle dans la
production car il va permettre aux camions de circuler, transportant
des pièces entre les usines ou des marchandises vers les
centres de distribution. Les fonctions de distribution vont aussi faire
partie du circuit qui permet de vendre les marchandises. Chaque
entreprise sait bien que le produit acquiert une valeur uniquement
lorsqu’il est effectivement vendu, c’est ce que
Marx appelait la « valeur d’échange
». Ainsi, de la même manière que la
production s’est concentrée, la distribution est
devenue une véritable industrie.
Carrefour-Promodès (n°2 mondial de la distribution)
emploie plus de 100 000 travailleurs. Pour produire une marchandise, on
doit prendre en compte tous ces aspects. Sans eux, tout
s’effondre. Il suffit de voir comment la grève des
routiers en 1997 a perturbé l’ensemble du commerce
et de la production en bloquant les routes pendant 12 jours.
Il faut en fait considérer l’éducation
du même point de vue : elle permet d’avoir des
travailleurs qualifiés, indispensable au capitalisme
moderne. Chaque marchandise est en fait le produit du travail direct ou
indirect de millions de travailleurs, c’est comme une
chaîne dans laquelle l’éducation est un
maillon, indispensable comme tous les autres. Il suffise
qu’un seul maillon lâche et la chaîne ne
tient plus.
Le discours dominant cherche souvent à masquer totalement
cette intégration de l’éducation dans
le fonctionnement du marché. Parfois, nos dirigeants
expriment pourtant le fond de leur pensée et de leurs
intérêts. En mai 1994 le G7 (groupe des 7 pays les
plus industrialisés) déclare «
L’éducation doit être
considérée comme un service rendu au monde
économique, et elle doit servir à apprendre et
non à recevoir un enseignement ».
L’éducation est un investissement indispensable
pour n’importe quel capitaliste moderne. Même celui
qui produit des tee-shirts dans les pays pauvres où le
coût de la main d’œuvre non
qualifiée est plus faible a besoin de services comptables,
de marketing…
Dans la plupart des pays, c’est l’Etat qui a pris
en charge cette fonction d’éducation.
Le fait que l’éducation ait
échappé à la main mise directe des
capitaliste a développé l’illusion
qu’elle ne fait pas partie de l’économie
capitaliste. Pourtant, comme n’importe quelle entreprise,
l’éducation est soumise aux
intérêts du capitalisme.
L’éducation fait partie de la concurrence
à laquelle se livrent les blocs nationaux de capitaux.
L’Etat va avoir pour mission de mettre en œuvre le
système éducatif le plus « productif
», en faisant les bons choix en termes
d’investissement dans la formation de main
d’œuvre. L’éducation est une
marchandise, mais particulière. Elle n’est pas
vendue directement sur le marché,
jusqu’à présent au moins ! Nous la
payons cependant indirectement par les impôts et les taxes.
Ce n’est pas non plus une valeur qui a un usage
immédiat. En effet, une grève enseignante ne
pèse pas directement sur la « production de main
d’œuvre qualifié », les
grèves enseignantes pèsent surtout par leur
impact politique. Il faut de nombreuses années pour fournir
un travailleur apte à entrer sur le marché du
travail. Mais ces particularités ne changent pas la nature
de l’éducation : elle est devenue une marchandise.
Marx annonçait il y a déjà 150 ans
dans Le manifeste du parti communiste : « La bourgeoisie a
dépouillé de leurs auréoles toutes les
activités considérées
jusqu’alors, avec un saint respect, comme
vénérables. Le médecin, le juriste, le
prêtre, le poète, l’homme de science,
elle en a fait des salariés à ses gages
».
La massification du système scolaire s’est traduit
par le développement de nouvelles fractions de la classe
ouvrière, dont les enseignants. Ainsi l’Etat
emploie 1,2 millions de personnes pour l’Education nationale,
c’est à dire pour les écoles, les
collèges et les lycées, dont 800 000 enseignants.
Avec la massification le travail d’enseignement
s’est complètement
prolétarisé. Salarié, comme
n’importe quel travailleur, l’enseignant vend sa
force de travail, c’est à dire son travail
intellectuel. En effet, pas plus qu’un ouvrier industriel,
l’enseignant n’est véritablement
maître de ce qu’il enseigne.
Le contrôle de la classe dominante s’exerce
à différents niveaux.
Tout d’abord lors de sa formation.
L’université qui forme l’enseignant
n’est pas neutre. On y enseigne
l’idéologie dominante. Ainsi
l’enseignant est qualifié dans un domaine
restreint, qui lui évite de développer une
compréhension générale. La division en
matières clairement séparées est
caractéristique du capitalisme qui parcellise
continuellement la production, qu’elle soit
matérielle où intellectuelle.
Deuxièmement, l’enseignant n’est pas du
tout indépendant pour choisir le contenu et la
manière d’enseigner. Le contenu est choisi par des
hauts fonctionnaires qui éditent de multiples programmes.
Même si ils ne cessent de répéter que
l’enseignant est libre, l’angoisse de tout
enseignant est « Vais-je finir le programme ? ».
Bien sur, chaque enseignant a une certaine marge de manœuvre,
par exemple, j’ai pris 2 heures pour étudier un
texte sur Mumia Abu Jamal, mais la première question que
m’ont posée les élèves fut
« Monsieur, est-ce que c’est au programme ?
». La nature des programmes, c’est de se
prétendre neutres, objectifs. Il n’en
n’est rien. Par exemple, à la session 2000 du BEP
métiers du secrétariat et de la
comptabilité 2000, les élèves devaient
étudier un dossier intitulé « Les
femmes au travail, égalité des chances pas pour
demain ». Une question demandait : «
Paradoxalement, certaines femmes souhaitent travailler et
d’autres rester à la maison. Donner 2 raisons qui
motivent les unes à travailler et une bonne mesure sociale
qui inciterait les autres à la maison. Rédigez
votre réponse ». L’ensemble des
questions gommait tout aspect concernant les
inégalités hommes-femmes face au travail et
certaines relevaient d’une véritable orientation
sexiste. Le tract de la CGT, dénonçant ce sujet
scandaleux, concluait : « Dorénavant,
précarité et retour des femmes au foyer
constituent un objectif sous-jacent de la formation des jeunes,
notamment professionnelle. Est-ce cela la «
modernité » des réformes de
l’éducation nationale tellement
proclamée par le ministère ? ».
Suzanne Citron démontre très clairement comment
les programmes scolaires en histoire ont été tout
au long du siècle des outils de propagande de masse :
« La logique de cette histoire
déterminée est de toujours légitimer
le pouvoir en place, le « vainqueur » et
d’ignorer les autres, les vaincus. L’histoire de la
« nation » est celle de la « raison du
plus fort », la Raison d’Etat ». (Le
mythe national, p.280)
Les programmes ont bien sûr évolué,
mais ce fut à chaque fois sous la pression de mouvements de
masse. Ainsi, le racisme, le nationalisme, le militarisme, qui
étaient des valeurs mises en avant dans les manuels
scolaires, ont du être mis en sourdine après la
décolonisation et les événements de
Mai 68. Mais chaque victoire est momentanée. On voit ainsi
ces dernières années
l’arrivée de nouvelles idées totalement
soumises aux intérêts du marché dans
l’école. JP Le Goff montre comment les
méthodes de management d’entreprise sont
introduites : « Se référant
confusément aux découvertes scientifiques et se
voulant proches des entreprises, les bricoleurs du comportement humain
ont désormais leurs entrées dans les institutions
universitaires et de formation. On apprend à des jeunes en
fin de scolarité, à des chômeurs,
à des salariés en reconversion ou en promotion
sociale, les derniers outils à la mode en matière
de communication. A l’école primaire, on demande
à des enfants de dix ans de «
s’autoévaluer ». Les jeunes en situation
d’échec doivent à présent
passer des « contrats d’objectif
»… (Vocabulaire identique à celui du
patronat à propos de la réforme de
l’assurance chômage, AB) Le système
lui-même se reproduit : la formation d’animateurs
sociaux, de formateurs, d’enseignants…
développe un jargon, des méthodologies et des
outils construits sur le même modèle que ceux du
management moderniste dans les entreprises. Les
générations nouvelles sont formées
pour agir efficacement, au plus vite et sans états
d’âme » (JP Le Goff, Les illusions du
management, La Découverte, pp. 11-12).
Le contenu de l’enseignement est décidé
d’en haut, pour le faire appliquer l’Etat a
développé un fort système
hiérarchique. Un rapport de 1998 de l’Inspection
générale de l’Education nationale
rappelle que « les personnels de direction des
établissements publics locaux d’enseignement
constituent le maillon fort de l’organisation de
l’école en France » (Igen,
Ministère de l’Education nationale, octobre 1998,
n° 98-003).
De la même manière que l’enseignant doit
noter, contrôler, évaluer
l’élève avec qui il entretient des
rapports d’autorité, il est lui-même
contrôlé, évalué par les
chefs d’établissement et les inspecteurs.
L’Education nationale a le même fonctionnement que
n’importe quelle entreprise : les chefs décident,
les personnels obéissent. Ainsi, le discours
pédagogique autour des relations dans un
établissement ne sert souvent qu’à
masquer ces rapports. Ainsi, à propos de la formation des
personnels de direction, l’Igen (Inspection
générale de l’éducation
nationale) se demandait : « Impossible, pourtant, de taire
réserves, questionnement et perplexité. Les
rapporteurs ne peuvent en effet dissimuler leur sentiment, sans cesse
croissant au fil des sessions, d’un piétinement,
d’une réitération des questions
auxquelles il n’est jamais répondu, car il
n’est guère possible de considérer
comme des réponses l’incessante
répétition par des experts ou
prétendus tels, d’un discours dit d’
« ingénierie de formation » dont la
limpidité n’est pas évidente et dont il
n’est pas illégitime de se demander s’il
est le reflet d’une pensée complexe, à
moins qu’il n’ait pour fonction de masquer une
absence de pensée ». Si des inspecteurs portent
sur eux-mêmes une telle opinion, cela illustre la nature
véritable de la hiérarchie : contrôler,
superviser, diriger les élèves et les enseignants.
Tout le système fonctionne par projets, mais la nature
finale de ces projets est bien de former de futurs travailleurs :
« Dans un contexte où l’insertion
professionnelle constitue un enjeu social majeur, il appartient au
système éducatif d’offrir à
tout jeune une formation appropriée », mais ce que
ne précise pas cette circulaire du ministère,
c’est que la formation est appropriée au
marché du travail, et non appropriée à
l’élève. La connaissance est
réduite à une marchandise, ainsi Etchgoyen,
conseiller spécial d’Allègre,
n’hésite pas à écrire :
« la littérature peut se
révéler fort utile pour le management et se
vendre fort cher sur le marché de la formation…
Les œuvres classiques sont ainsi
découpées selon des objectifs précis :
‘Ethique et affaire : Bel-Ami de Maupassant ; la
négociation : Le Rouge et le Noir de Stendhal’. La
littérature doit ainsi sensibiliser les futurs responsables
d’entreprise aux enjeux liés à
l’exercice du management ; tirer parti d’une
culture littéraire largement sous-exploitée qui
fournit des repères stratégiques pour
l’action » (cité par JP Le Goff, p.166).
L’enseignant n’a pas pour rôle de
contribuer à l’épanouissement de chaque
élève, mais de lui donner une qualification pour
le marché du travail et coûte que coûte
lui inculquer l’idéologie du marché.
La prolétarisation du travail intellectuel concerne
particulièrement le travail enseignant. Son domaine de
travail est restreint, de plus il n’a aucune
véritable autonomie dans son travail. Ainsi, le premier
travail de l’enseignant est la discipline : à
chaque heure faire l’appel, faire taire les
élèves. On doit apprendre aux
élèves la ponctualité, en sanctionnant
les retards, car arriver à l’heure au travail est
un apprentissage fondamental dans la société
capitaliste où « le temps, s’est de
l’argent ». Ainsi, dans chaque école les
heures s’égrènent au son de sinistres
sirènes qui rappellent l’usine ou
l’aéroport.
L’enseignant est non seulement exploité, mais son
aliénation est directement liée à sa
situation sous le capitalisme : « La
surspécialisation, l’instrumentalisation et la
prolétarisation du travail intellectuel sont les
manifestations objectives de l’aliénation
croissante du travail… L’impression de perdre tout
contrôle sur le contenu et le déroulement de son
propre travail est tout aussi répandue de nos jours chez les
soi-disants spécialistes, y compris ceux qui sortent de
l’université, que chez les travailleurs manuels
» (Mandel, p.36)
Cette aliénation est aggravée chez les
enseignants par le fait qu’on leur impose de jouer un
rôle répressif, qu’ils n’ont
d’ailleurs souvent pas choisi. Face à
l’élève, l’enseignant doit
incarner l’autorité, ce qui a pour
conséquence d’opposer les
élèves aux enseignants. Les rapports enseignant
–élève sont du type
dominant-dominé. Pour un élève, ne pas
respecter l’enseignant, c’est ne pas respecter
l’institution scolaire, donc l’Etat, et
c’est pour cela qu’on le sanctionne. Par exemple,
face aux problèmes de la violence scolaire, la seule
politique est la répression contre les
élèves considérés comme
« déviants ». La violence,
principalement morale, des rapports à
l’école a pour conséquence que les
enseignants appartiennent à une des professions les plus
touchées par les dépressions nerveuses.
L’Education nationale a même construit ses propres
hôpitaux psychiatriques.
L’école limite le développement de
l’individu, en réalité elle «
dresse » plus qu’elle
n’éduque. Il est donc parfaitement
compréhensible qu’elle
génère de nombreuses réactions de
violence de la part des élèves contre
l’institution scolaire.
Peut-on pour autant comparer l’enseignant à un
gardien de prison ?
Même si l’aspect autoritariste de la fonction
d’enseignant est souvent négligé, on ne
peut réduire l’enseignant à un gardien
de prison. Tout d’abord, les enseignants n’exercent
plus (en théorie) de violences physiques contre les
élèves, ils ne sont pas armés comme le
sont les matons ou les flics. Le deuxième aspect, plus
fondamental, est que la connaissance est une marchandise
particulière. Les patrons veulent que les travailleurs
apprennent à lire pour pourvoir ensuite nous vendre Windows,
mais le travailleur acquiert aussi la capacité de lire Marx
ou un tract syndical. Contrairement à ce que voudraient nos
dirigeants, on ne peut déconnecter totalement le savoir et
le sens. On ne peut réduire la lecture de Le Rouge et le
Noir à un apprentissage du management et de la
négociation ; certains, en lisant ce livre, vont se poser
des questions sur la Révolution française,
comment à certaines époques des
régimes ont pu être balayés…
A ce propos, Brecht montrait qu’il était
impossible de réduire le travailleur moderne
qualifié à un simple exécutant
conscient de ce qu’il fait mais inconscient de ce
qu’il est, inconscient des causes et du sens de ses actes :
« On peut établir le
théorème suivant : les classes dirigeantes, dans
le dessein d’opprimer et d’exploiter les masses,
doivent investir chez celles-ci de telles quantités de
raison d’une telle qualité, que
l’oppression et l’exploitation s’en
trouvent menacées. Ces réflexions de sang-froid
amènent à conclure que les gouvernements
fascistes, en attaquant la raison, se lancent dans une entreprise
donquichottesque. Ils sont obligés de laisser subsister, et
même de susciter de grandes quantités de raison.
Ils peuvent l’insulter autant qu’ils veulent, la
présenter comme une maladie, dénoncer la
bestialité de l’intellect : ne serait-ce que pour
diffuser ce genre de discours, ils ont encore besoin
d’appareils de radio dont la fabrication est
l’œuvre de la raison. Pour maintenir leur
domination, ils ont besoin d’un potentiel de raison chez les
masses, égal à celui dont les masses ont besoin
pour supprimer leur domination » (Ecrits sur la politique et
la société, L’Arche,
éditeur, p. 196)
Le développement du capitalisme aliène toujours
plus le travailleur, mais en même temps il lui donne de
nouvelles armes. Il n’y a aucune fatalité ou
déterminisme. L’Allemagne des années 30
était un des pays les plus éduqués au
monde, pourtant les nazis ont brûlé des millions
de livres, ce qu’aucune société
n’avait fait. Nos ennemis aussi se préparent.
C’est en nous organisant consciemment, en
préservant la mémoire des luttes que le
capitalisme voudrait effacer, que nous pourrons développer
une alternative et mettre les incroyables richesses de la connaissance
au service de l’humanité et non du profit.
V – EDUCATION : UNE FORTE TRADITION DE RESISTANCE
«
Malgré la scission qui
l’a affecté, le syndicalisme enseignant se porte
mieux que celui des autres secteurs. Sa « sursyndicalisation
» (35% comparé aux 9% pour l’ensemble
des salariés) relative tient aux enjeux politiques,
économiques et sociaux qui entourent le système
scolaire et impliquent ses salariés » (R Mouriaux,
Le syndicalisme enseignant en France, Que sais-je, p. 4). Le
caractère profondément contradictoire de
l’enseignement a marqué en profondeur
l’histoire, particulièrement riche des mouvements
enseignant, étudiants ou lycéens.
Les premières formes d’organisation
émergent dès le 19ème
siècle ; le droit de se syndiquer est interdit aux
fonctionnaires, donc aux enseignants en 1884. C’est
l’époque des premières amicales.. La
laïcité fut une question fondamentale dans le
développement des organisations enseignantes. En
même temps que le gouvernement républicain
interdit les syndicats enseignants, l’Etat veut aussi
s’attacher la fidélité des enseignants
dans le développement de l’école. Les
enseignants sont un maillon essentiel pour la bourgeoisie pour imposer
son idéologie. Les enseignants deviennent les «
hussards noirs de la république ». Le
développement de l’école
laïque combine une lutte contre les institutions religieuses
héritées du passé, qui enthousiasme
nombre d’enseignants, mais en même temps
l’Etat veut dominer plus directement
l’éducation et la soumettre totalement. Jules
Ferry n’a pas pour ambition de réduire les
inégalités sociales, au contraire, il
réduit l’école à «
un des éléments fondamentaux du
relèvement de la patrie après le
désastre de 1870 » (cité par JM
Gaillard, Un siècle d’école
républicaine, p. 86). Ainsi, en 1882, le ministre
républicain Spuller préside le congrès
des amicales d’instituteurs et d’institutrices,
mais c’est aussi ce même Spuller qui
réaffirme en 1885 l’interdiction aux enseignants
de revendiquer. Le développement du mouvement amicaliste est
« ambivalent ». Les amicales sont souvent
présidées par les recteurs, les inspecteurs et
les préfets et sont très soumises à
l’autorité. Les républicains,
c’est à dire le parti de la bourgeoisie, ont
besoin des enseignants et donc la lutte pour la
laïcité réunit pouvoir
républicain et enseignants. Mais la déception ne
va pas tarder. En 1905 la séparation de l’Eglise
et de l’Etat est gagnée mais le pouvoir
républicain craint par dessus tout le
développement de luttes revendicatives. D’un
côté, les amicales prospèrent pour
atteindre 90 000 adhérents, mais de l’autre, elles
perdent de leur vigueur contestataire. Comme le souligne Antoine Prost,
« elles déçoivent donc toute une
clientèle de jeunes instituteurs impatients de secouer les
tutelles ». Ils n’ont pas connu les batailles pour
l’école laïque ; ils sont
attirés par le socialisme, qui critique les valeurs
d’obéissance et une morale trop conventionnelle,
voire bourgeoise, prônées par les manuels
scolaires et les autorités pédagogiques ; ils
déplorent l’indifférence des amicales
à la question sociale comme à celle de leur
situation de « prolétaires intellectuels
». Dès lors les successeurs des hussards noirs
boudent les amicales et glissent du radicalisme au socialisme et
créent les premiers syndicats d’instituteurs (JM
Gaillard, p. 80). En 1905, année de la fondation du Parti
socialiste et 10 ans après celle de la CGT, est
proclamé le « Manifeste des instituteurs
syndicalistes » : « Ce n’est pas au nom
du gouvernement, même républicain, ni au nom de
l’Etat, ni même au nom du peuple
français que l’instituteur confère son
enseignement ; c’est au nom de la
vérité… Nous avons, de la forme
syndicale, la plus haute conception. Le syndicat ne nous
apparaît point créé pour
défendre l’intérêt
immédiat de ses membres, mais il nous semble qu’il
doit se soucier autant de rendre plus profitable à la
collectivité la fonction sociale que ses membres remplissent
» (Le Monde de l’éducation,
juillet-août 2000). Mais la répression se
poursuit, les différents syndicats sont poursuivis et
dissous. La première guerre mondiale et la vague de
révolutions mondiale qui éclate en 1917 changent
la situation. Le fort pacifisme et une
généralisation de l’esprit revendicatif
fournissent la confiance nécessaire pour imposer
à l’Etat un véritable syndicat.
En septembre 1919, le SNI (syndicat national des instituteurs) est
créé. En 1924, pour la première fois,
le syndicalisme enseignant est reconnu par l’Etat.
Héritier de l’amicalisme, il s’inscrit
dans la mouvance socialiste modérée et rejoint la
CGT réformiste en 1925.
« L’année 1937 (période du
front populaire) semble constituer une année
charnière pour la structuration du syndicalisme enseignant
français » (André Robert, Le Monde de
l’éducation, juillet-août 2000). En
effet, les mouvements ouvriers de 1936 ancrent le syndicalisme
enseignant à gauche. La fondation du SPES (syndicat des
professeurs du secondaire, ancêtre du SNES actuel)
s’inscrit dans la tradition française du
syndicalisme révolutionnaire.
A la libération le mouvement syndical se divise, le PCF est
aux ordres de Moscou, la création de FO est
financée par la CIA. Les enseignants refusent
l’alternative qui était
présentée comme la seule possible à
l’époque : Washington ou Moscou. Le mouvement
enseignant refuse la division syndicale qui a comme cause
réelle la guerre froide. Les raisons du choix unitaire et de
sa persistance tiennent pour le plus grand nombre des enseignants au
sentiment que l’union fait la force (Mouriaux, p35). Ce
sentiment que l’unité est nécessaire
est lié aux transformations que subit le monde enseignant
à cette époque.
L’après-guerre est justement la mise en place de
la massification : « Devant la dévalorisation de
la fonction enseignante qui entraîne une baisse importante du
recrutement, la FGE (fédération
générale de l’éducation)
demande un reclassement prioritaire, ce que la commission Coyne est
chargée d’instruire en avril 1946… Le
réagencement des grilles et indices des agents de la
fonction est rendu public fin août 1947… Les
grèves de la fin de l’année conduisent
le gouvernement Robert Schuman à énoncer de
nouvelles propositions que la FEN juge satisfaisantes en raison du
rétablissement de la parité avec les
catégories homologues. Après la parution des
décrets en janvier 1948, l’action syndicale visera
à l’application rapide et systématique
de la grille » (Mouriaux, pp.30-31).
Cette unité préservée va
être une force pour le mouvement syndical enseignant : les
effectifs de la FEN passent de 162 752 en 1948 à 302 320 en
1963. Dès la guerre d’Indochine, les syndicats
enseignants contestèrent l’impérialisme
français. La FEN, après des débats
houleux, prit position contre la guerre d’Algérie.
Poussée vers la gauche, les syndicats
s’opposèrent à la politique
sélective des gouvernements de De Gaulle.
Les syndicats enseignants furent très actifs en 1968,
poussé par la base. Le dirigeant du SNESup, syndicat
enseignant à l’université, Alain
Geismar, est même emprisonné en raison de son
radicalisme (cela ne l’empêchera pas, devenu
conseiller du social-libéral Allègre, 30 ans plus
tard d’envoyer les CRS contre les enseignants en
grève). Le secteur enseignant participèrent
activement aux grèves de Mai 68, et un tiers des enseignants
s’impliquèrent même dans les occupations
d’école. C’est l’âge
d’or du syndicalisme enseignant, la FEN atteint
même l’effectif de 550 000 membres en 1978.
Mais parallèlement à sa massification, le
syndicalisme enseignant va aussi s’institutionnaliser.
Dès les années 30, des syndicalistes
créent la fameuse MAIF, qui est une assurance pour les
enseignants, puis nombre d’autres activités vont
se mettre en place. La FEN et ses organisations
périphériques deviennent une véritable
entreprise. La cogestion se développe avec le paritarisme.
De plus en plus, les responsables syndicaux deviennent des
négociateurs professionnels, qui vont de commission en
commission, et passent plus de temps avec les hauts fonctionnaires du
ministère qu’avec les syndiqués de
base. Cette vision gestionnaire a été
d’autant plus forte que le développement massif du
système scolaire après-guerre, grâce au
boom économique, donnait une certaine justification au
discours réformiste.
Mais cette politique montre ses limites dans les années 70
et 80 : « Le mouvement de Mai 1968 avait
profondément ébranlé
l’institution scolaire. Des réponses
contradictoires à la contestation étaient
proposées ; le conservatisme l’emporte
progressivement. Une nouvelle épreuve se présente
pour le syndicalisme à partir de 1974-76 : la crise
économique. Pour la surmonter le peuple de gauche compte sur
une relève politique. Les espoirs vont être
progressivement déçus. Le monde laïc
subit en 1984 une défaite historique.
L’école privée apparaît comme
légitimée et par contre coup,
l’école publique est violemment
contestée pour ses rigidités, son corporatisme,
son inefficacité. Les réformes se
succèdent, incomplètes, inachevées. La
régionalisation adoptée en 1982 introduit, pour
sa part, une modification importante des règles de
financement du service public de l’Education nationale
» (Mouriaux, p.74).
Comme partout, la crise économique a pour
conséquence la restructuration de
l’école publique. Le gouvernement Fabius en 1984
consacre l’acceptation par la gauche réformiste du
capitalisme et l’abandon d’une politique de gauche
en terme d’éducation. Le nouveau ministre de
l’éducation Jean Pierre Chevènement
combine une politique de modernisation libérale, il faut
« apprendre à entreprendre »,
à une politique traditionaliste et nationaliste, voulant
même réintroduire la Marseillaise dans les
écoles, l’école devant être
au service de « la France qui gagne » !
C’est une époque de reculs significatifs des
luttes, la direction de la FEN accompagne ces réformes et
évolue vers la droite. Après la
défaite de la gauche en 1986, la droite veut faire en France
la même chose que Margareth Thatcher en Grande Bretagne,
c’est à dire détruire le service public
d’éducation. Le RPR veut une politique
ultralibérale : « autonomie des
établissements, décentralisation, libre choix de
l’établissement, sélection »
(cité dans Mouriaux, p.87).
Mais cette violente offensive suscite une révolte inattendue
des étudiants, le fameux « printemps en hiver
». Un mouvement étudiant contre la
sélection introduite par la loi Devaquet débute
le 12 novembre 1986 et rapidement s’étend
à travers toute la France. Les étudiants
créent des coordinations, qui vont permettre de
développer un mouvement extrêmement large,
d’une démocratie fantastique. David Assouline et
Sylvia Zappi, deux des principaux animateurs du mouvement racontent :
« On décide et on contrôle tout de bas
en haut… Si l’impulsion du mouvement a
été donné par des militants syndicaux,
l’ensemble des étudiants veut prendre en main leur
grève ne laissant à personne le soin de la
contrôler. Le contrôle, ils le veulent collectif
avec leurs structures…L’imagination ne manquera
pas…Une fois élu, le comité devra
fonctionner en transparence : toutes ses discussions,
désaccords internes, propositions feront l’objet
de comptes rendus détaillés en
assemblée. S’il outrepasse ses droits en prenant
une décision non préalablement
débattue par tous, ou s’il n’applique
pas tel vote, les étudiants le rappelleront à
l’ordre, voir le dissolveront pour le
réélire : seule l’assemblée
générale est souveraine et
l’apprentissage de cette démocratie aura des
aspects très vifs ! » (Notre printemps en hiver,
Ed. La découverte, p.52-56).
Pendant trois semaines, les lycéens et les
étudiants secouent la France, mais le mouvement reste
isolé, en particulier les enseignants ne
participèrent que de manière très
minoritaire au mouvement. La FEN appelle à manifester
tardivement, le 23 novembre, soit 11 jours après le
début du mouvement et refusera d’appeler
à la grève. Le 27 novembre, alors que 500 000
jeunes manifestent, les délégations syndicales
sont sifflées, isolées par des «
cordons sanitaires » de la FEN et la CFDT. Ce jour
là, des milliers d’enseignants manifestent
pourtant anonymement dans les cortèges étudiants.
La direction de la FEN sera lamentable tout au long du mouvement, son
dirigeant se contentant « d’observer » le
mouvement.(déclaration de Pommateau le 4 décembre
! ).
« Pourtant, il serait absurde d’opposer
sommairement un mouvement étudiant « apolitique
» à des enseignants prisonniers de syndicats
sclérosés. D’une part, si les
étudiants ont voulu agir en toute indépendance
des organisations syndicales ou politiques, on ne peut
mésestimer le rôle joué par les
syndicalistes étudiants dans le mouvement, et
l’intelligence avec laquelle toute une expérience
d’organisation a pu être mise au service
d’une détermination massive à obtenir
gain de cause. D’autre part, la désyndicalisation
du corps enseignant ne traduit-elle pas une évolution des
mentalités et la montée d’aspirations
très proches de celles qu’exprimaient les
étudiants : lassitude des divisions aboutissant à
des actions dispersées (quatre cortèges
différents le 21 octobre), dégoût de la
langue de bois, exigence de décisions prises plus
démocratiquement, besoin de renouvellement des formes
d’actions (aspirations qui se sont d’ailleurs
concrétisées au cours des manifestations
ultérieures des instituteurs) ? On comprend dès
lors que beaucoup d’enseignants aient
préféré s’immerger dans la
dynamique même d’un mouvement dont ils se sentaient
solidaires. Cette participation diffuse augmente la
difficulté d’apprécier exactement le
degré d’implication au cours de cette
grève. » (Notre printemps en hiver, p.285)
Les syndicats de salariés, en particulier les syndicats
enseignants, cherchèrent à éviter une
généralisation du conflit, son extension, mais la
situation change le 6 décembre. La nuit
précédente, les policiers ont tué
Malik Oussekine à Paris. La colère est profonde
face à la droite qui tente de casser brutalement le
mouvement des étudiants. Un appel à la
grève générale est lancé
pour le 10 décembre par la CGT, le SGEN-CFDT, le SNES, le
SNE-Sup et la FCPE ; la FEN refuse pourtant toujours
d’appeler à la grève et appelle
simplement les enseignants à défiler. Le
gouvernement Chirac, se rappelant 1968, préfère
reculer et le 8 décembre le projet est retiré. Le
10 décembre, des centaines de milliers de personnes viennent
manifester en hommage à Malik Oussekine.
Cette lutte étudiante a eu un impact significatif. Elle a
contrarié sérieusement les restructurations de
l’éducation en France, qui n’a toujours
pas subi des attaques frontales comparables à
l’Angleterre. Aujourd’hui encore,
l’université reste un droit même si
chaque année les syndicats étudiants doivent
mener des luttes pour les inscriptions de plusieurs milliers
d’étudiants. La forme des luttes
étudiantes a aussi inspiré des luttes de
travailleurs. En janvier 1987, les cheminots se mettent en
grève, avec une coordination qui permet un
véritable contrôle de la base. Quelques mois plus
tard, ce sont les infirmières qui vont utiliser ces
nouvelles formes de lutte, débordant largement les
bureaucraties syndicales.
En quelques années, le syndicalisme enseignant est lui aussi
profondément transformé. La direction de la FEN
poursuit son évolution vers la droite. Le retour de la
gauche au pouvoir en 1988 conforte la direction de la FEN dans son
orientation d’une politique d’accompagnement des
réformes. Les dirigeants veulent une « refonte
» du syndicalisme car le monde change. Pommatau parlait dans
ces termes : « La revendication pure et simple, le
corporatisme ont fait leur temps. La crise économique exige
le réalisme. L’internationalisation de la
production et des échanges nécessite une action
concertée, en particulier dans le cadre européen
», du Tony Blair 10 ans avant !
Mais dans une époque de crise, la politique
d’accompagnement du capitalisme signifie de plus en plus de
compromis, d’acceptation de la logique du marché,
or le climat commençait à changer. Le
spécialiste du syndicalisme René Mouriaux montre
bien que ce sont les luttes qui modifièrent la situation :
« Pour réussir, la recomposition
réclame une conjoncture sociale calme. Le secteur public ne
cesse d’être secoué par des mouvements
sociaux d’ampleur. En 1986, avec le retour de la droite, les
étudiants manifestent contre la loi Devaquet et les
cheminots prennent le relais jusqu’à la mi-janvier
1987. Les instituteurs récusent l’invention des
maïtres-directeurs. En 1988 les infirmières, en
1989 les agents des impôts puis les étudiants
protestent contre la rigueur et le libéralisme des
socialistes. La guerre du golfe persique pendant le premier semestre
1990 gèle les conflits qui reprennent à la fin de
l’année dans les lycées. En 1991,
Lionel Jospin se trouve confronté à une
résistance assez comparable à celle qui avait
entraîné le départ d’Alain
Devaquet » (Mouriaux). La direction de la FEN pensait que le
temps des luttes était terminé, qu’elle
pouvait s’affranchir de la réalité,
elle fut démentie de manière fracassante.
La direction de la FEN était liée à la
droite du Parti socialiste. La FEN regroupe des
fédérations par secteur. Le SNES, syndicat des
lycées collèges dirigé par un courant
proche du parti communiste, était
considéré comme trop « remuant
», trop à gauche par la direction. Par des
manœuvres totalement bureaucratiques, la direction de la FEN
exclu le SNES en juin 1992. En fait, la majorité des
militants de la FEN rompt avec la direction et en quelques mois un
nouveau syndicat, clairement plus à gauche
émerge. En février 1993, une manifestation des
comités de liaisons unitaires rassemble 30 000 personnes
à Paris. La FSU se créée en 1993, et
revendique rapidement 150 000 membres, soit autant que ce que la FEN
aurait gardé. Les élections professionnelles de
décembre 1993 sont un camouflet pour la politique des
dirigeants de la FEN. La FSU recueille 49% des voix dans le secondaire
et 28% dans le primaire. Au total, une organisation de moins
d’un an d’existence rassemble 39% des voix, alors
que la FEN chute de 13% avec un score de 23%.
Durant les années 80 et le début des
années 90, le niveau général des
luttes fut faible, l’éducation fut en fait un des
lieux où la résistance fut la moins affaiblie.
Malgré son bureaucratisme, la capacité
d’organisation qui avait été acquise
par la tradition de la FEN permit d’aborder les
années 90 dans une bien meilleure situation que dans
d’autres secteurs. Les enseignants, lors de la crise de la
FEN, manifestèrent une forte confiance et un attachement
à un syndicalisme combatif.
De retour aux affaires en 1993, la droite tenta à nouveau de
casser le service public. Bayrou voulut reprendre la loi Falloux pour
permettre un financement du privé au détriment du
public. La FSU, la FEN et de nombreuses associations de gauche
appelèrent à la défense de
l’école laïque et publique : un million
de personnes se retrouvent dans la rue à Paris. Le
succès fut incroyable. La droite dut reculer, Balladur, le
Premier ministre de l’époque, devint Ballamou !
Bayrou en fut ensuite réduit à
négocier continuellement avec les syndicats.
L’offensive du privé dans
l’école est une nouvelle fois rendue plus
difficile.
Les grèves du secteur public en 1995 sont un tournant.
Nombre d’enseignants embrayent le pas aux cheminots. Le plan
Juppé, qui voulait allonger de deux ans et demi le temps de
travail des fonctionnaires est massivement contesté :
près de trois millions de grévistes. La FSU
soutient le mouvement, mais elle n’appelle pas à
la grève reconductible. Elle appelle à la
grève lors des grandes journées
d’action, mais en fait, la base va déjà
plus loin. Partout, des enseignants font la grève continue
durant deux ou trois semaines. A Paris, dans le 20ème
arrondissement, les enseignants, avec leurs syndicats, ont rejoint un
comité de grève qui rassemble des centaines de
grévistes, enseignants, cheminots, postiers, chauffeurs de
bus… Des expériences de ce type furent aussi
mises en place à Rouen.
Décembre 95 change profondément le mode de lutte
des enseignants. Jusqu’à présent, sauf
en 1936 et en 1968, le mouvement syndical enseignant avait toujours
refusé la grève reconductible, les syndicats
organisaient des journées d’action
étalées dans le temps mais très
massives. Cela suffisait pour gagner des acquis dans la
prospérité des Trente Glorieuses. Mais
aujourd’hui, alors que la guerre économique met
l’éducation de plus en plus sous la menace du
profit, les enseignants découvrent de nouvelles formes de
luttes, révélatrice du changement de climat de
ces dernières années.
La grève de la Seine Saint Denis est très
significative de ce renouveau. La situation de la Seine Saint Denis est
celle d’un département touché de plein
fouet par la crise, chômage, misère,
racisme…Le feu fut mis aux poudres lorsque le
ministère publia une enquête qui montrait que,
contrairement à ce que la majorité des gens
pensent, le 93 est sous-doté en ZEP. Alors que les
problèmes sociaux sont immenses, les effectifs par classe
dans le 93 sont parmi les pires, on y manque de profs encore plus
qu’ailleurs.
Début 98, Allègre annonçait
fièrement qu’il allait créer 80 postes
dans le département ; 15 jours avant, le rectorat venait lui
d’annoncer la suppression de 60 postes ! Alors
qu’il fallait près de 5000 postes, cette annonce
fut une provocation. Début mars, une dizaine
d’établissements se mirent en grève. Se
mit alors en place une assemblée
générale des établissements en
grève. Elle regroupait les
délégués élus par les AG de
chaque établissement, et les syndicats soutenant la
grève. Cela permit d’étendre la
grève et le contrôle de la base fut formidable.
Pour la première fois, des enseignants se
lançaient clairement dans la grève reconductible.
Près de 150 établissements furent
représentés dans l’AG, soit la
moitié des établissements du 93. Le conflit dura
près de 2 mois. La solidarité fut immense, le
débat continuel. Cela permis de résister aux
attaques d’Allègre qui
n’hésita pas à déclarer que
« les grévistes faisaient le jeu du Front national
», que nous devions obéir et arrêter la
grève. En réponse, les enseignants
allèrent à la grande manifestation contre les
alliances avec le FN après sont score de 15% aux
régionales, manifestation qui rassembla 100 000 personnes,
dont des milliers de lycéens. Cela permit aussi de
déborder l’inertie de l’appareil
syndical. Au bout d’un mois de grève,
Allègre proposa «
généreusement » 300 postes. La
direction du SNES tenta alors de convaincre les grévistes
d’accepter et de reprendre le travail. Le dirigeant ne fut
pas entendu, déclara que nous étions suicidaires,
que nous allions tout perdre. La grande majorité de
l’AG vota, déterminée, la poursuite de
la grève. L’AG suivante, le responsable revint en
disant que finalement le syndicat soutenait la grève. Mais
surtout, devant la détermination des grévistes et
les risques d’extension de la grève à
toute la région parisienne, Allègre dut reculer.
15 jours plus tard, il annonçait la création de
3000 postes pour le 93 ! Ce fut une victoire totale, les jours de
grève (deux mois pour certains) furent
intégralement payés.
L’hiver 2000 fut aussi riche avec le mouvement de
Montpellier, où les enseignants, les
élèves et les parents ont lutté
pendant près de 4 mois, occupant les écoles,
créant une véritable AG à la base, et
les grandes grèves des lycées professionnels et
du secondaire. Pour la première fois de son histoire, le
SNES a appelé à la grève
reconductible. La grève rassembla un nombre jamais vu : 800
000 enseignants. Allègre dut démissionner. Ce fut
une victoire importante.
En effet, les attaques contre l’école publique ne
vont pas cesser, le ministre est parti mais pas sa politique.
L’expérience nouvelle qui a
été acquise dans ces luttes est
extrêmement importante, les enseignants ont fait
l’expérience de l’organisation
à la base. La grève reconductible revêt
une importance cruciale : elle permet de se rencontrer, de
s’organiser, de développer des actions, de faire
des réunions avec les parents, de tenir des AG pour
contrôler le mouvement par en bas. En même temps,
le contraste est frappant entre le niveau de colère et de
luttes, et la quasi absence d’organisation et de perspectives
politiques au sein du mouvement. Alors que le mouvement de cet hiver
remet directement en cause la logique de marchandisation de
l’école, cet aspect n’a jamais
été débattu à grande
échelle dans le mouvement. Les mots d’ordre sont
restés très syndicalistes.
L’expérience acquise par l’ensemble de
ces luttes doit nous servir à développer une
compréhension et des perspectives plus
générales, sur le rôle que peuvent
jouer les enseignants pour changer la société.
Les enseignants, depuis 50 ans sont un des secteurs les plus actifs de
la classe ouvrière. Les luttes enseignantes ne sont pas la
défense de privilèges ou un quelconque
corporatisme. Leur nature, la grève, le syndicat,
l’assemblée générale les
rangent définitivement dans le camp des travailleurs.
L’enseignant est un exemple du travailleur moderne, qui vend
son travail intellectuel, qui est exploité et
aliéné. Mais cela ne signifie pas que
mécaniquement il prend conscience de sa place objective. La
majorité des enseignants ne pensent pas,
aujourd’hui, faire partie de la classe ouvrière.
Leur conscience reste fondamentalement réformiste, et donc
la négociation reste la perspective principale. Mais la
course à la compétitivité exacerbe la
concurrence au niveau mondial. Les patrons veulent la peau de
l’école publique. En mars 90, la commission
européenne parlait déjà
d’instaurer un « marché » de
l’enseignement, en effectuant des «
économies d’échelle » et en
privatisant les secteurs les plus « rentables » !
Les attaques vont se multiplier. Il est nécessaire que les
enseignants développent plus de solidarité avec
les lycéens et les étudiants, il faut
développer les liens avec les parents
d’élèves et les syndicats de
salariés et nous organiser, car nous affrontons un ennemi
(le grand patronat et l’Etat) hautement organisé,
centralisé qui contrôle les institutions, les
médias, les entreprises. Les travailleurs, et donc parmi eux
les enseignants, détiennent la solution, par leur force
collective et leurs intérêts communs.
C’est cet espoir qu’il faut construire, pour ne pas
voir se réaliser les pires cauchemar, le fameux «
tableau noir ».
VI – EDUCATION ET
RELIGION : QUELLE LAICITE ?
La
Révolution française a
marqué de manière
indélébile l’histoire de
l’école républicaine, avec le
développement, propre à l’histoire de
la France, de la notion de laïcité. Jean
Baubérot (président de l’Ecole des
hautes études (Sorbonne), titulaire de la chaire histoire et
sociologie de la laïcité) donne une
définition qui révèle bien
l’enjeu des débats sur la
laïcité : « La
laïcité française se fonde sur un double
refus : celui de toute religion officielle et celui –
malgré les accusations longtemps
proférées – d’un
athéisme d’Etat. De façon plus
positive, il est possible de définir la
laïcité comme l’établissement
d’un lien social qui articule la liberté de
conscience et la liberté de pensée. La
liberté de conscience induit le pluralisme des croyances,
des convictions ; la liberté de pensée, la
formation de l’esprit critique, l’acquisition
d’instruments capables de soumettre à un
« libre examen » tout système de
pensée » (Le monde de
l’éducation, juillet-août 2000).
Cette définition signifie, et c’est ce qui est
véhiculé quotidiennement dans toute
l’institution scolaire, que l’école est
un lieu où l’enfant est formé
librement, et cette « liberté » est
à préserver. L’école
laïque doit être neutre, c’est la
théorie de ceux qui dirigent le système actuel.
L’école doit être un «
sanctuaire » apolitique, préservant les enfants
des bagarres que se livrent les adultes. Ainsi,
l’enseignement serait neutre et objectif ; les
règles nombreuses mises en place dans
l’éducation, les relations
d’autorité… ne seraient faites que pour
les intérêts de l’enfant, «
libre arbitre de son développement ».
La laïcité a pourtant une origine et une histoire
tout à fait différente.
Sous le féodalisme, il y avait une quasi fusion entre le
pouvoir temporel, représenté par le roi, et le
pouvoir spirituel représenté par
l’église, tout au moins en Occident. Dans sa lutte
pour le pouvoir, la bourgeoisie lutte donc contre
l’idéologie religieuse. Idée apparue
lors de la Révolution française, la
laïcité est l’enjeu de nombreuses luttes
au 19ème siècle. La bourgeoisie triomphante va
progressivement conquérir les bastions de l’ancien
régime. Il fallait déposséder
l’Eglise catholique et lui arracher le contrôle de
l’enseignement afin d’inculquer au peuple
l’idéologie conquérante de la nouvelle
classe au pouvoir. La volonté de la bourgeoisie
d’ouvrir l’école avait un aspect
progressiste, en même temps la bourgeoisie donnait
à la laïcité un aspect
élitiste, justifiant les inégalités
sociales selon le mérite.
En 1789, la bourgeoisie proclamait « liberté,
égalité, fraternité », en
même temps le droit de vote était censitaire,
réservé aux riches, aux possédants. Ce
fut la même chose pour l’école
près de 100 ans plus tard.
En 1882, Jules Ferry proclamait l’école
laïque, mais en réalité il ne mena
jamais une lutte contre les idées religieuses, il voulait
simplement créer une nouvelle religion, nationaliste,
raciste, impérialiste.
L’écrasement de la Commune n’avait pas
suffit à briser la résistance
ouvrière. Fondateur mythique de l’école
républicaine, laïque, Jules Ferry
n’hésita pas à multiplier les
concessions aux conservateurs : « Cette tension se manifeste
dès la création de l’école
laïque (1880-1886). Il existe alors un concensus
républicain pour abolir les dispositions de la loi Falloux
(1850) portant sur le contrôle des institutions par le
clergé. Cela permet, en quelque sorte, de libérer
la liberté de pensée. Mais Jules Ferry, au nom de
la liberté de conscience, aurait voulu qu’un cours
facultatif de religion puisse exister. C’est finalement une
autre solution qui a prévalu : la vacance scolaire, un jour
par semaine, pour faciliter le maintien du catéchisme
» (Le monde de l’éducation,
juillet-août 2000). De même,
l’église catholique put maintenir dans la plupart
des écoles publiques une aumônerie. Le calendrier
scolaire fut construit autour du calendrier catholique. Les crucifix
sont maintenus dans la plupart des classes. Jules Ferry lui
même exalte les valeurs chrétiennes et la
nécessité pour les instituteurs de
développer les valeurs spirituelles. En même temps
que l’Etat développe son contrôle sur
l’éducation, il favorise
l’école privée, élitiste et
réactionnaire. En 1880, les effectifs des églises
confessionnelles, quasi exclusivement catholiques (encore
aujourd’hui, plus de 95% des établissements
confessionnels sont catholiques), sont de 500 000, et passent
à 1 250 000 au début du siècle.
L’école est tout sauf neutre. Elle est un outil
idéologique et politique essentiel de la politique de
colonisation. Pour installer des relais « blancs »
dans les colonies, pour exploiter et piller sans vergogne ces pays,
l'Etat a un besoin important de main d’œuvre. Les
missions catholiques vont être tout au long de la
colonisation un relais idéal. Un fusil dans une main, un
crucifix dans l’autre, l’Etat français
allait civiliser l’Afrique, l’Asie… La
laïcité servait de masque quand à la
véritable nature de l’école
capitaliste. Ce fut seulement en 1905 que fut proclamé
officiellement la séparation de
l’église et de l’Etat. Les
congrégations religieuses avaient ouvertement pris position
contre Dreyfus, véhiculant toutes les pires campagnes
antisémites. C’est à cette
époque qu’apparurent les premières
ligues fascistes. La gauche fut très active dans la campagne
de soutien qui réussira à innocenter Dreyfus
après plus de 10 ans de luttes. En 1905, 10 ans
après la création de la CGT et
l’année de la fondation du parti socialiste, sous
la pression des forces de la gauche, la bourgeoisie doit
céder, la séparation de l’Eglise et de
l’Etat est proclamée. Elle ne veut plus
d’affrontement majeur sur la question religieuse. Dans le
même temps elle multiplie les concessions vis à
vis des institutions religieuses. En 1918, le concordat religieux,
signé suite au rattachement de l’Alsace et de la
Moselle, fera que jusqu’à aujourd’hui
les écoles primaires sont confessionnelles. Encore
aujourd’hui, les crucifix sont sur les murs
d’école, l’éducation
religieuse est obligatoire. En l’an 2000, une mère
d’élève s’est vue retirer les
allocations familiales car son enfant ne fréquentait pas ces
cours. Les fonctionnaires du clergé (islam exclu) sont
toujours payés par l’Etat. A la session 2000 du
CAPES, 35 postes de professeurs de religion titulaires ont
été créés pour les
religions catholique, protestante et juive.
Parce qu’elle a besoin d’une idéologie
et de mythes pour maintenir sa domination, la bourgeoisie n’a
jamais voulu véritablement lutter contre les institutions
religieuses, en particulier elle s’est bien souvent
alliée avec la hiérarchie catholique. En 1914, au
moment même où commence la Première
Guerre mondiale, la loi qui interdisait aux congrégations
religieuses d’enseigner est suspendue, puis elle sera
abrogée par le régime de Vichy en 1940.
Jamais, la place de l’église dans
l’école ne sera sérieusement combattue.
Dès 1951, de nouvelles concessions sont faites :
autorisation du financement des établissements
privés. En 1959, de nouvelles facilités sont
offertes aux établissements religieux sous contrats, dont
les enseignants et les frais d’externat sont payés
par l’Etat.
Après la victoire de 1981, la gauche renoncera aussi
rapidement à affronter les milieux traditionnellement
à droite qui soutiennent l’enseignement
catholique. Mitterand avait promis le « Spulen »,
c’est à dire un grand Service public
unifié et laïc de l’Education nationale,
qui devait supprimer l’enseignement confessionnel. En 1984,
alors que la droite se mobilise pour l’école
privée, le gouvernement de gauche abandonne ce projet, Alain
Savary, qui voulait remettre en cause les privilèges du
privé, est remplacé par Jean Pierre
Chevènement qui revient à la loi Debré
de 1959.
La bourgeoisie a définitivement renoncé
à lutter contre les idées du passé.
Alors que la laïcité était une lutte
progressiste au moment de la Révolution
française, c’est au nom de la lutte pour la
laïcité qu’aujourd’hui beaucoup
à gauche demandent, à tort, l’exclusion
de jeunes musulmanes.
La laïcité peut amener à se tromper
d’ennemi comme l’illustre une des
dernières « affaire ». Le 5 octobre
2000, le tribunal administratif de Caen confirmait
l’exclusion de 2 collégiennes turques de 12 ans
parce qu’elles refusaient d’enlever leur foulard
à l’école. Le 25/10 Yves Sintomer, un
intellectuel de gauche, répondait très justement
dans Libération : « Cette décision,
fondée sur un artifice de procédure, est
discriminatoire et injuste… Le racisme antimusulman suit
souvent de près. Il est déplorable
qu’une partie d’un corps enseignant
déboussolé s’accroche à une
conception intégriste de la laïcité et
que l’éducation nationale couvre de telles
crispations ». En effet la position que les enseignants ont
pris à Flers est dangereuse. Soutenus par le SNES, principal
syndicat des enseignants des collèges et lycées,
ils avaient fait grève pour exiger l’exclusion des
2 élèves. Quelle position adopter face
à une telle confusion ?
Aujourd’hui environ un millier de jeunes filles sont
scolarisées avec le foulard. Dans la plupart des cas, comme
dans mon lycée, après discussion avec les
personnels de l’établissement, les
élèves sont normalement acceptées.
Cela ne devrait pas poser de problèmes car on est bien loin
de la vision fantasmatique véhiculée par les
hommes politiques, la presse, la télévision lors
de chaque affaire. On voudrait nous faire croire qu’elles
sont manipulées par de dangereux islamistes, que quelques
élèves de 12 ans menacent les fondements de
l’école. La sociologue et ancienne maire
socialiste de Dreux Françoise Gaspard montre dans une
très bonne étude le contraire : «Les
affaires qui ont conduit à des exclusions de
lycéennes, à Mantes ou à Lille,
à Strasbourg ou à Goussainville, ont
contribué à révéler en
réalité, dans bien des cas, le foulard
n’est pas imposé par les familles mais
résulte d’un libre choix, n’est pas
vécu comme une soumission mais comme une affirmation de soi.
Ces jeunes filles sont le produit d’une
société qui depuis 10 ans fait la chasse aux
immigrés maghrébins ». (F Gaspard et F
Khosrokhavar, Le foulard et la république, Ed. la
Découverte)
On constate d’ailleurs que chaque affaire a
été habilement utilisée par les
gouvernements successifs pour développer un climat raciste,
diviser pour mieux règner. Deux ans après Creil
en 1989, Cresson (1er ministre socialiste) se félicitait de
faire plus de charters que Pasqua ; 2 ans après la
circulaire Bayrou en 1994, l’église Saint Bernard
était attaquée à coups de hache !
Une grande partie de la gauche a soutenu l’exclusion au nom
de la défense du droit des femmes. Cet argument est absurde.
Une de mes collègues soulignait qu’il y a autant
de garçons musulmans, pourtant pour eux il n’a
jamais été question d’exclusion. La
mesure «censée défendre » les
femmes est au contraire sexiste. En effet, en 1994, Bayrou envoya des
émissaires du ministère de
l’éducation, deux jeunes femmes issues de
l’immigration, rencontrer les jeunes filles. Le rapport va
à l’opposé de tous les
préjugés, d’ailleurs il ne fut que
très peu diffusé. Une émissaire
raconte : « Paradoxalement, c’est un
phénomène d’émancipation.
Avec leur foulard, elles se sentent affranchies. En se
plaçant sous l’autorité de Dieu, elles
se libèrent de l’autorité de leurs
pères et de leurs frères… Une
d’elles m’a même dit que depuis
qu’elle portait le voile, elle allait à des
débats, des colloques » (Libération, 8
décembre 1994). L’école est le premier
et indispensable moyen pour qu’elles sortent de chez elles,
et on leur refuse.
Au nom de la défense de la laïcité, on a
accusé ces jeunes filles de vouloir remettre en cause la
neutralité de l’école.
Prétendre que l’école est neutre sert
surtout à masquer le fait qu’elle est
dominée par une culture et des idées dominantes.
Il est «naturel » pour la majorité des
gens de trouver une aumônerie catholique dans un
lycée public, et on s’offusque des pratiques
religieuses des musulmans. L’école
véhicule une idéologie mais elle doit
prétendre le contraire.
Il s’agit de ne pas se tromper d’ennemis. La
laïcité, cela doit être le droit
à l’école pour tous. Or celui ci
n’est pas respecté. L’Etat refuse les
moyens pour embaucher, construire des locaux, avoir du
matériel. A titre de comparaison, après le
mouvement des 500 000 lycéens en 1998, le gouvernement a
«généreusement »
donné 200 millions de francs à
répartir entre tous les lycées, c’est
le montant de la participation de l’Etat aux
Journées mondiales de la jeunesse, lors de la venue du pape
en 1997 ! Il pourrait être tentant pour un gouvernement de
réutiliser la question du foulard pour nous diviser et
mettre un nuage de fumée sur les véritables
problèmes. Nous devons donc résister aux
tentatives de division et refuser l’exclusion des jeunes qui
portent le foulard.
(lycées de Bagnolet, Masters de
l’économie…)
La laïcité fut une valeur que la bourgeoisie porta
dans sa lutte contre l’aristocratie. C’est
maintenant la bourgeoisie qui a besoin d’une religion pour
justifier sa domination, réduisant les idéaux de
1789 à des mythes. Ainsi, une véritable
laïcité exigerait deux conditions : d’une
part la séparation complète des institutions
religieuses et de l’Etat ; d’autre part la
constitution d’une école publique unique et
gratuite, ouverte à tous, croyants ou non, quelle que soit
la religion, indépendante de tout
intérêt privé.
(Kagarlitsky pas un centime…)
Une école « neutre » est une illusion,
nous voulons une école ouverte sur le monde, où
les débats qui règnent dans la
société fassent partie intégrante de
l’école. La laïcité actuelle
empêche la liberté d’expression, elle
fragilise encore plus les opprimés ; comme il y a 100 ans,
l’école est toujours soumise aux
intérêts capitalistes. Au contraire, nous luttons
pour une école qui unisse les opprimés et les
exploités, où l’on refuse tous les
tabous, qui étudie toutes les religions, les
idées, le patrimoine culturel de toutes les
sociétés, qui fasse de l’histoire
humaine, non un moyen de domination, mais
d’émancipation. Cette école se heurte
directement aux institutions étatiques bourgeoises, et
nécessitera le renversement de l’ordre dominant.
Seule la classe ouvrière, alliée aux
opprimés, classe la plus nombreuse et la plus
assoiffée de connaissances parce qu’elle en est
privée, y a intérêt. La bourgeoisie a
elle depuis longtemps abandonné ce combat.
VII – UNE AUTRE
ECOLE EST POSSIBLE
Dans
une société capitaliste,
l’éducation est déterminée
par les besoins de la concurrence économique. Mais quelle
école voulons nous ? Quels pourrait être les buts
et l’organisation de l’éducation dans
une société gérée non plus
en fonction du profit, mais en fonction des besoins humains. Nous en
avons déjà connu de brefs aperçus
lorsque des millions de personnes remirent en cause
l’organisation de la société. Dans ces
époques de soulèvement
révolutionnaires, ce sont les fondements mêmes de
l’éducation qui furent balayés.
De la même manière que le capitalisme a
développé une éducation en fonction
des intérêts de la société,
c’est-à dire ceux d’une infime
minorité, dans une société socialiste,
gérée collectivement,
l’éducation dépend des
intérêts de cette société
mais cette fois ci cela signifie les intérêts de
l’immense majorité. Au lieu d’une
école basée sur la compétition,
l’effort individuel, cela signifie une école
où l’effort collectif est central, il nourrit,
inspire et permet un développement total des
personnalités individuelles des enfants, et celles ci en
retour enrichissent la collectivité.
Dans les sociétés primitives, avant
l’émergence des classes sociales, le but de toute
population était de collectivement conquérir la
nature, afin de profiter des produits de celle ci. Ce besoin vital
d’extraire de la nature de quoi satisfaire les besoins
humains (alimentation, sommeil, reproduction) fait que tout humain
manifeste un profond désir d’apprendre. Il fallait
connaître les saisons, les plantes bonnes à
cueillir, les modes de chasse… Tous les
éthnologues qui ont étudié les tribus
primitives ont été systématiquement
frappés par la connaissance de ces tribus de leur
environnement naturel. Lorsque des hommes du 20ème
siècle ont voulu reproduire des gestes d’hommes
préhistoriques, ils ont été surpris de
la difficulté rien que pour allumer du feu avec des silex.
L’apprentissage est intrinsèque à
l’espèce humaine, tout travail humain
nécessite de la connaissance (voir la plus belle histoire de
l’homme). Mais la société de classe
cadenasse cette soif d’apprendre que chacun d’entre
nous a en lui, que se soit un nouveau-né avide de
découvrir le monde ou celui qui sort
diplômé de l’école. Toutes
les révolutions socialistes ont démoli les bases
capitalistes du système éducatif, le remettant
totalement en cause ; mettant au centre un idéal de
développement de la personnalité toute
entière de chaque être humain. La
compétition n’est pas naturelle chez
l’homme, elle est due à l’organisation
de la société. En brisant les chaînes
capitalistes, l’éducation devient alors une source
d’enrichissement collectif, qui en même temps
nourrit et inspire chacun.
Les sociétés primitives étaient
basées sur les besoins les plus
élémentaires. Aujourd’hui, nous
utilisons de nombreuses technologies très
avancées, cela nous donne la possibilité
d’en finir avec la société de classe et
enfin satisfaire les besoins humains. Nous pouvons remplacer
l’exploitation de l’homme par l’homme par
l’exploitation de notre planète par
l’humanité unie. Exploiter la nature, cela ne
signifie pas la détruire, au contraire. La destruction
actuelle de la planète est le produit de la course au
profit. Une société gérée
collectivement est la seule possibilité pour prendre en
compte des intérêts humains à long
terme. Le but de l’école socialiste devra donc
être d’éduquer ce «
maître de la nature », afin que sa
personnalité puisse éclore librement pour le bien
de la collectivité entière.
Chaque ébranlement révolutionnaire nous montre la
possibilité de renverser les bases mêmes du
système éducatif. Ces périodes
où les travailleurs prirent le pouvoir sont synonymes
d’espoir, durant leurs brèves périodes
d’existence, elles firent franchir des pas de
géant, introduisant de nombreux changements et
créant de nouvelles formes d’organisation qui sont
toujours une source d’inspiration aujourd’hui.
La révolution russe
Le nouveau régime, issu de la révolution
d’octobre 1917, s’attaqua immédiatement
à la question éducative. Le premier
décret sur l’éducation, en 1918,
rassemble l’ensemble des innovations qui vont être
mises en places dans les premières années de la
révolution. Son préambule énonce
l’esprit et les idéaux qui guidaient les
révolutionnaires :
« la personnalité de chacun doit rester la valeur
la plus importante dans la culture socialiste. Cette
personnalité ne peut pourtant se développer selon
les inclinaisons et la richesse de chacun autrement que dans une
société harmonieuse et égalitaire.
Nous ne devons pas oublier le droit de chacun à
développer ses particularités. Il n’est
pas nécessaire pour nous de faire taire la
personnalité de chacun, de l’enfermer dans un
moule d’acier car la stabilité de la
communauté socialiste est basée, non sur
l’uniformité de la vie de caserne, non sur des
exercices artificiels, non sur des illusions religieuses ou
esthétiques, mais sur une véritable
solidarité d’intérêts
». (Pinkevich, Le nouveau système
éducatif dans la république
soviétique, cité dans C. rosenberg, Education and
Revolution, p. 18)
Cette résolution a été suivie des plus
grands changements que l’histoire ait connu en terme
d’éducation, mais pas seulement. Dans bien des
domaines, la révolution russe prit des mesures qui ne sont
toujours pas en place dans nos pays aaujourd’hui :
liberté complète et gratuité de
l’avortement et de la contraception, gratuité et
liberté totale de divorce… A propos de la
Révolution russe, Lénine parlait de «
festival des opprimés ». Cela dura environ dix
ans, puis Staline pris le contrôle, détruisant
totalement tous les idéaux de la révolution,
enfermant l’éducation dans une
véritable camisole de force.
Malgré les conditions effroyable, résultat de la
guerre civile, et l’opposition de la majorité des
enseignants, les écoles furent totalement
transformées par l’action
révolutionnaire des élèves et
d’une minorité d’enseignants, avec les
soviets (comités ouvriers) locaux, encouragés par
le gouvernement. (à mettre en note La nature sociale des
enseignants était très différente de
celle d’aujourd’hui. Bien souvent, les professeurs
faisaient encore partie des notables, souvent d’origine
petite bourgeoise, fortement influencés par
l’église orthodoxe et le tsarisme. Ceci explique
que beaucoup d’enseignants russes
s’opposèrent à la révolution
d’Octobre 1917, soutenant les blancs contre
révolutionnaires lors de la guerre civile. Il faut souligner
en conséquent le rôle fantastique de la
minorité progressiste des enseignants qui
s’impliquèrent à la reconstruction du
système éducatif totalement en ruine et
déserté de la majorité des professeurs)
La philosophie générale était de
créer une éducation « polytechnique
», pluridisciplinaire, reliant le travail pratique et
l’étude des théories et des sciences
qui guident cette même pratique. La méthode
adoptée la plus répandue fut la
méthode du « projet ». Collectivement,
les enfants choisissaient une tâche sociale usuelle dont ils
apprenaient l’aspect manuel, pratique en même temps
qu’ils étudiaient les théories sur le
même sujet. Les initiatives créatives qui
émergeaient de ce travail étaient fortement
encouragées.
Les évaluations et les examens furent abolis,
l’université fut rendue gratuite et ouverte
à tous ceux qui le voulaient. L’année
qui suivit le décret sur l’éducation de
1918, le nombre d’étudiants à
l’université doubla. L’école
fut rendue obligatoire pour tous les enfants
jusqu’à l’âge de 17 ans
(c’est encore 16 ans en France en 2000 et le Medef voudrait
bien l’abaisser ! ). Cet objectif était cependant
très difficile à atteindre, en particulier dans
les régions rurales, en raison de
l’arriération du pays et des
dégâts énormes provoqués par
la guerre mondiale et la guerre civile.
Les relations humaines furent totalement transformées. Les
bases collectives sur lesquelles furent créées
les écoles révolutionnaires exigeaient une
complète démocratie : Pinkevich, le
célèbre pédagogue
soviétique, décrit les relations entre les
enseignants et les élèves.
« Il ne s’agit ni de mettre toute les affaires de
l’école dans les seules mains des
élèves ou, au contraire de donner de la
même manière un monopole complet aux adultes. Cela
serait tout sauf judicieux. L’enseignant joue le
rôle d’organisateur, d’assistant,
d’instructeur, de camarade plus âgé,
mais non le rôle d’un officier supérieur
».
L’enseignant devait maintenir de simples relations de
camaraderie avec les enfants, qui bien souvent appelaient leur
professeur par son prénom, ce qui est toujours banni dans
les écoles du 21ème siècle !.
L’autogestion des élèves fut un pas en
avant fantastique en terme de démocratie, et permis de
dépasser les frictions entre les personnels
éducatifs. Dans chaque école, on
élisait des comités pour les
élèves, les enseignants et le personnel
non-enseignant. Une réunion de ces comités
élisait dans chaque école la direction qui
était susceptible d’être
révoquée si le directeur ou la directrice ne
donnait pas satisfaction. De plus, le soviet de
l’école, avec les élèves,
les personnels et les parents était en relation
étroite avec le soviet local et les syndicats pour
décider des orientations générales de
l’école afin que celle-ci fasse partie
intégrante de la communauté.
Alors qu’aujourd’hui encore, le respect de
l’autorité et des règles est toujours
considéré comme une
nécessité à
l’école, même si cela donne lieu
à des tensions et des fraudes permanentes, Pinkevich
explique que : « Nous ne sommes pas
préoccupés du tout quand aux lois et aux
règles qui sont émises par la
communauté. Même si des actions, mauvaises de
notre point de vue, sont commises parfois, la chose importante est que
les mesures de régulation soient prises par les
élèves eux-mêmes, avec la participation
active des enseignants et ces mesures peuvent ainsi être
mises en application par la collectivité. Ainsi…
il doit y avoir aussi peu de lois et de règles que possible
».
La destruction quasi complète de l’industrie
créa une forte demande en enseignements de
matières professionnelles, ce qui se fit au
dépend de l’enseignement
général. Ceci fut fortement contesté
par des éducateurs révolutionnaires comme
Lounatcharsky, ministre de l’éducation, et la
bolchevique Kroupskaïa, la femme de Lénine.
Lounatcharsky écrit : « Il est
inévitable que se développe une sorte de combat
entre certains marxistes qui comprennent toutes les
difficultés de l’époque actuelle, la
nécessité de concentrer toutes nos forces, fut-ce
au prix de sacrifier nos idéaux face aux besoins actuels
– et d’autres marxistes qui, en dépit de
tout, ne peuvent, même dans ces temps très
difficiles, fouler aux pieds les fleurs qu’étaient
leur espoir dans la jeunesse prolétarienne, et leur
volonté de créer un enseignement basé
sur le développement multiple ».
Kroupskaïa est sur la même longueur d’onde
: « L’éducation professionnelle ne doit
pas mutiler l’homme en faisant de lui un
spécialiste dans un domaine limité trop
précocement ». Staline, lorsqu’il prit
définitivement le pouvoir à la fin des
années 20, détruisit ces remarquables
expériences éducatives, enfermant à
nouveau l’éducation dans une camisole de force
d’autoritarisme, reproduisant les pires violences de
l’école tsariste.
France, 1968
Plus près de nous, il y a la fabuleuse expérience
qui se développa durant plus d’un mois en 1968, et
plus brièvement en 1973.
Les élèves menèrent des occupations
d’école et réussirent à
impliquer de manière active près d’un
tiers des enseignants, les autres enseignants participant simplement
aux grèves qui rassemblèrent dix millions de
travailleurs. Une nouvelle fois, c’était un
véritable renversement de l’école. On
contestait le système scolaire, celui-ci étant
décrit comme des « usines dans lesquelles la
matière première doit être
moulée » à la seule fin de devenir des
« bras » à exploiter, à
moitié illettrés.
Un lycéen décrit le climat qui régnait
alors : « Alors que nous occupions les bâtiments,
les élèves se sentaient pour la
première fois chez eux... La plupart des observateurs furent
surpris tout d’abord du sérieux des occupants. Ils
pensaient que les lycéens allaient profiter de
l’occasion pour devenir enragés, et même
causer des dégâts matériels. Mais
pourquoi auraient-ils détruit leur matériel,
saccagé leurs classes, saboté leur propre travail
? C’est sur ce point que les occupations
d’écoles prennent un chemin parallèle
aux occupations d’usines. Dans les deux cas, les outils de
travail furent respectés car émergeait une
responsabilité bien plus grande, on découvrait
qu’ils pouvaient fonctionner par
l’activité de la base seule, sans les
interférences de la hiérarchie administrative ou
du patron » (Comités d’Action
Lycéens, Les lycéens ont la parole, 1968).
Le temps ne fut pas perdu. Ainsi une école mena pendant
trois semaines une « expérience
éducative » : « Chaque groupe organisa
son travail comme il voulait, étudiant un sujet dans la
matinée et décidant de l’emploi du
temps de la journée (leçon, exercices pratiques,
petits groupes…). De midi à midi trente, les
élèves de chaque classe décidaient :
premièrement si l’objectif avait
été atteint et écrivaient des
conclusions qui pourraient les aider quand ils reviendraient au sujet,
deuxièmement ils préparaient le travail du
lendemain, décidant de qui introduirait un sujet, de quels
livres consulter… L’après midi,
c’était des discussions politiques (au sens le
plus large) et des activités culturelles :
théâtre, lecture, films
jusqu’à 16 heures. Enfin,
c’était un meeting général
puis du sport ».
La plus grande démocratie régnait. Les
délégués étaient
élus par chaque classe, ainsi que divers comités
élus par les enseignants et les autres personnels. La
direction de l’établissement devait être
élue pour trois ans, mais pouvait être
révoquée si il y avait une majorité
des deux tiers du conseil d’établissement. Des
réunions furent organisées pour expliquer aux
parents ce qui se passait et demander leur coopération.
Une fois encore, la philosophie mise en œuvre par une
école révèle une tendance plus
profonde : « L’enseignement doit prendre en compte
le développement total de l’individu et doit donc
rejeter toute idée de spécialisation
précoce ou de sélection ; nous ne voulons pas
d’idiots spécialisés ».
Nombre de tabous tombèrent, en particulier le mythe de la
neutralité de l’école : « Les
écoles, à l’unanimité, sont
en faveur de l’introduction de la politique…
Pourtant, nous refusons toutes les organisations qui refusent la
liberté aux gens, telles que les organisations racistes
». Le mois d’occupations
d’écoles en France en Mai 1968 fut
l’expérience la plus intéressante
à l’Ouest. Mais il ne fut pas unique.
Portugal 1974
Ce fut au Portugal, peu de temps après, en 1974 avec le
renversement du régime fasciste.
Les mouvements dans les écoles furent un
véritable tremblement de terre. Grèves,
manifestations, occupations, écoles ouvertes aux
travailleurs inaugurèrent un système
éducatif nouveau et révolutionnaire, qui purgea
totalement le système de
l’hégémonie de
l’église et du fascisme qui y régnaient
depuis 50 ans.
Avant le 25 avril 1974, les directeurs étaient des agents
fascistes nommés par le ministère de
l’éducation. Peu après le 25 avril, le
même ministre, sous la pression du climat et des
assemblées générales dans les
écoles, fut forcé d’envoyer un
ultimatum aux directeurs d’école. Il leur donnait
un mois pour donner leur réponse. La pression se
développa si rapidement que sans même attendre un
mois, tous les directeurs furent licenciés.
Ces agents fascistes éliminés, les
écoles furent dirigées par des comités
élus par tous, souvent sur la base des opinions politiques
des candidats, par les représentants des enseignants, des
élèves et du personnel de service. Une
éducation pluridisciplinaire fut introduite et les effectifs
de classe sévèrement réduits, passant
de 40-45 à 25-27.
Les grèves lycéennes se répandirent
dans les écoles au printemps 1975 pour se
débarrasser des examens et purger les enseignants fascistes.
Parmi les grèves, les slogans étaient les
suivants : « Les étudiants du
côté du peuple et sous la direction de la classe
ouvrière ! », « Luttons pour une
éducation populaire ! », « Education
pour le peuple, pas pour la bourgeoisie ! ».
L’armée, qui était du
côté de la révolution, était
souvent appelée pour virer des parents fascistes refusant
d’obtempérer ou pour sauvegarder une occupation,
comme ce fut le cas pour le collège Olivais Sul. Cette
école mis en place un nouveau cursus qui comprenait du
cinéma, des spectacles de théâtre, du
sport, des visites d’usines pour étudier les
techniques de production et les problèmes sociaux. Ils
occupèrent aussi le studio d’un artiste
réactionnaire et des terres inoccupées voisines.
Pour se protéger des attaques fascistes, ils
demandèrent l’aide de la
célèbre unité de
l’armée Ral-1, qui leur envoya des soldats
armés. Alors qu’auparavant
l’école manquait totalement d’espace,
elle disposait maintenant de magnifiques espaces
supplémentaires.
L’éducation révolutionnaire retomba
avec la révolution en novembre 1975, mais elle laissait
derrière elle un an et demi passionnant
d’innovations.
Rôle des
lycéens et étudiants
Ces descriptions de soulèvements
d’écoles montrent que les lycéens et
les étudiants sont bien la force dirigeante du mouvement
révolutionnaire dans les écoles. Dans des
époques tranquilles, les élèves ne
sont pas pris en compte comme une force sociale, bien que dans la
réalité, les luttes de lycéens ou
d’étudiants , même peu
politisées, voire de simples révoltes
destructrices contre une école qui les opprime, ont souvent
fait bien plus pour forcer le système à se
rénover que les politiques soit-disant raisonnables. Dans
des époques de mouvement social, toute
l’énergie négative que
créé le cadre scolaire peut être
canalisé dans une activité politique positive
dans laquelle les élèves peuvent se forger leur
propre direction afin de participer activement et consciemment
à la construction d’une autre école.
C’est le seul moyen pour briser l’opposition qui
existe entre les enseignants et les élèves, qui
sont maintenus dans des rapports d’autorité sous
le capitalisme.
Il est à noter que bien souvent les révoltes dans
les écoles furent dirigées par des gens issus des
classes moyennes. Ceci est le produit de leur situation
vécue, en bas de la hiérarchie sociale de
l’école, qui forme leur conscience, et non la
promesse de futurs privilèges. Même si il est
promis à un avenir plus rose qu’un fils
d’ouvrier immigré, un fils de médecin
apprend à se taire à
l’école, il doit y faire des exercices qui
limitent la pensée, comme un ouvrier il doit apprendre tout
d’abord à obéir. C’est la
lutte contre l’autorité oppressive de
l’école actuelle qui les mène
à rompre avec toute autorité. Leur milieu
familial et un niveau plus élevé
d’éducation que la classe ouvrière leur
donnent une confiance plus grande pour contester les
privilèges alors que les enfants de la classe
ouvrière en manquent initialement mais que la lutte elle
même peut ensuite développer.
Ce sont des enfants de la classe ouvrière qui ont
dirigé les mouvements de lycéens en France en
1973. A l’époque, pour justifier sa politique
totalement réformiste de 1968, le parti communiste
n’hésitait pas à dire aux ouvriers que
les lycéens et les étudiants
n’étaient que des fils de patrons ; cela lui
permettait de fermer les portes des usines aux jeunes
révolutionnaires qui voulaient rencontrer et discuter avec
les travailleurs. Les lycéens débatturent cette
question : « Bien que supposés jouer le
rôle de chiens de garde (un rôle qu’ils
se refusaient à assumer, comme le montre leur
solidarité avec les travailleurs), lycéens et
étudiants, une fois dans la vie active, ne seront pas
préservés du chômage ».
Ils étaient clairs également quand à
à la nature particulière de leur situation
sociale, qui leur confère une grande liberté,
puisque à l’école, on n’est
bien moins entravé par les soucis matériels, le
budget ménager, le travail.
« Il est important de comprendre dans la révolte
des étudiants et des lycéens que leur non
participation à la vie active et leur relative
indépendance intellectuelle constitue un terrain
défavorable pour les tentatives
d’intégration de la bourgeoisie, ou des partis
traditionnels, voir même des partis d’opposition
».
Le fait que des jeunes, plutôt
privilégiés, luttent sur le front de
l’école et s’identifient avec les luttes
de la classe ouvrière quand celle-ci sont intenses, a pu
aussi s’observer dans la plupart des mouvements
lycéens et étudiants en Angleterre, où
des luttes ont éclatés dans des Public School
(qui, comme leur nom ne l’indique pas du tout, sont des
écoles privés élitistes et
chères).
Toutes ces expériences, extrêmement
intéressantes et enthousiasmantes, se menèrent
dans des périodes révolutionnaires. Ces
soulèvements sociaux nous donnent des indications sur la
direction que pourrait prendre l’éducation sous le
socialisme. Tous les aspects devrons être revus selon les
intérêts de la base la plus large, de la
manière la plus démocratique, combinant le niveau
d’enseignement général le plus
élevé et une éducation pratique la
plus large possible.
CONCLUSION
L’école est en crise. Riccardo Petrella,
conseiller à la commission européenne,
écrit : « Le premier piège est
l’instrumentation croissante de
l’éducation au service de la formation de la
« ressource humaine ». Cette fonction prenant le
pas sur l’éducation pour et par la personne. Il
trouve son origine dans la réduction du travail à
une « ressource » organisée,
déclassée, recyclée, et, le cas
échéant, abandonnée en fonction de son
utilité pour l'entreprise. Comme toute autre ressource
matérielle et immatérielle, la ressource humaine
est considérée comme une marchandise
économique qui doit être disponible partout. Elle
ne connaît ni droits civiques ni autres droits, qu'ils soient
politiques, sociaux ou culturels, les seules limites à son
exploitation étant de nature financière (les
coûts). Son droit à l’existence et au
revenu dépend de sa performance, de sa
rentabilité. Elle doit démontrer
qu’elle est employable, d’où la
substitution du « droit au travail » par une
obligation nouvelle : démontrer son employabilité
»… « En Amérique du Nord, on
parle en permanence de « marché de
l’éducation », de « buisness
de l’éducation », de «
marché des produits et des services pédagogiques
», d’ « entreprises éducatives
», de « marché des professeurs et des
élèves »… Pour la grande
majorité des acteurs, publics et privés,
présents au World Education Market, la marchandisation de
l’éducation ne fait aucun doute, la question
principale étant de savoir qui va vendre quoi sur quel
marché mondial et selon quelles règles.
»… « De plus en plus nombreux, en effet,
sont les responsables politiques des pays
développés prêts à accepter
que le marché décide des finalités et
de l’organisation de l’éducation. Les
organisations syndicales (notamment l’Internationale de
l’éducation), les organisations gouvernementales
et les mouvements citoyens devraient redoubler d’efforts pour
contrecarrer ce scénario » (Le monde diplomatique
octobre 2000)
Effectivement, l’éducation est de plus en plus
convoitée par les grandes multinationales. Depuis plusieurs
mois, les grands de ce monde négocient l’AGCS
(accord général sur le commerce et les services),
qui vise à reduire l’éducation
à un service marchand à part entière.
L’école est à la croisée des
chemins. La classe dirigeante veut réduire la question
scolaire à une lutte entre « archaïques
» et « modernes ». Les
problèmes ne seraient que le produit des
inadéquations entre les méthodes
pédagogiques et les besoins de la
société « post moderne ».
Allègre était le symbole de ce modernisme, et dut
démissionner sous la pression du « corporatisme
enseignant ».
Ce discours ne sert qu’à masquer la mainmise des
capitaux privés sur le marché
éducatif. Ceci n’est qu’un nuage de
fumée pour masquer les véritables enjeux.
L’enseignement doit assurer un avenir à la
jeunesse, dit-on. Un avenir ? Mais quel avenir leur réserve
ce monde dominé par le pouvoir de l’argent ? (Le
tableau noir, p. 83)
Ils sont nombreux, à gauche, à tomber dans le
piège du discours sur les méthodes
d’éducation, sur la révolution
informationnelle et pédagogique.
L’avenir réservé aux travailleurs est
bien sombre. Alors que les profits explosent, la
précarité galope, les salaires stagnent.
L’éducation nationale elle même est un
des premiers employeurs de précaires. En cette
rentrée 2000, on a plus embauché de contractuels
(contrat précaire d’un an maximum) que
d’enseignants titulaires (Libération 27/09/00).
Les enseignants kleenex vont de pair avec la formation de
salariés jetables. Ma propre expérience
d’enseignant est riche d’exemples les plus
sordides. Mes élèves font chaque année
pendant un mois un stage en maison de retraite ou en hôpital.
Elles y effectuent un véritable travail, souvent
exténuant, pour 15 francs par jour !
Le boom économique des années 1990 n’a
profité qu’à une infime
minorité : les 200 plus riches du monde possèdent
autant de richesses que les 2,8 milliards de personnes les plus
pauvres, c’est à dire 47% de
l’humanité ! Dans les pays les plus riches, la
misère n’a cessé d’augmenter.
Aux USA, le pourcentage des enfants vivants dans la pauvreté
est passé de 19% en 1974 à 25% en 1994. En Grande
Bretagne, ils étaient 9% en 19779, 18% en 1991.
Près d’un tiers des français, des
belges et des hollandais disposent de moins de 10$ (70 francs) par jour
pour vivre. (Financial poverty in developed contries T. M. Smeeding,
LIS Working Paper, n° 155, avril 1997). En 1990 une
conférence mondiale s’engageait à
éradiquer l’analphabétisme en 10 ans.
On est loin du compte. En l’an 2000, il y a 900 millions
d’adultes analphabètes et plus de 120 millions
d’enfants de 6 à 11 ans sont privés
d’école, obligés de travailler ((Lignes
d’ATTAC, n°8, septembre 2000).
« Le développement anarchique imposé
par le capitalisme conduit l’humanité vers des
tragédies alimentaires, climatiques et
écologiques. Aujourd’hui, 1,4 milliard
d’être humains n’ont
déjà pas accès à
l’eau potable et les réserves
s’épuisent à une vitesse incroyable. En
1950, les Etats Unis disposaient de 37200 mètres cube
d’eau potable par habitant. En l’an 2000, ces
réserves seront tombées à 17500. En
Amérique latine on est passé de 105000
à 28300. En Afrique, de 20600 à 5100. En Europe,
de 5900 à 4300. Les puissances industrielles ont
déjà fait la guerre pour le pétrole et
continuent de massacrer les enfants d’Irak afin
d’assurer leur approvisionnement bon marché en
« or noir ». Demain, elles feront la guerre pour
l’eau, pour la forêt, pour l’uranium,
pour l’oxygène… Souvent, les forces
progressistes qui s’opposaient à
l’impérialisme des pays riches ont
été écrasées dans le sang,
ce qui a favorisé le développement des formes les
plus barbares d’intégrisme religieux et les
nationalismes réactionnaires. Un avenir, disiez vous ? Une
petite clique de propriétaires super puissants domine le
monde. La planète entière peut crever de faim,
étouffer dans sa pollution, exploser de violence…
Ils n’ont d’yeux que pour le taux de rendement de
leur capital. La jeunesse ne peut rien n’attendre
d’eux ». (Le tableau noir, p. 84)
Les riches veulent mettre main basse sur l’école.
La gauche se montre incapable aujourd’hui de
défendre l’école publique. Il est
facile d’accuser l’éducation de tous les
maux de la société. Elle devient un bouc
émissaire pour expliquer le chômage de masse, le
manque de flexibilté des salariés, la violence de
la société…
La gauche, au nom de la modernité, ouvre les portes de
l’école aux capitaux privés et de
l’autre main sort le bâton. La carte
répressive est le corollaire de la marchandisation de
l’école. « Les effets
d’annonce gouvernementaux cherchent à
légitimer une politique sécuritaire dans le
domaine éducatif : on est passé de
l’idée de lutte contre les
inégalités sociales à celle de la
constitution de l’insécurité comme
problème social prioritaire… Ainsi, la vision des
« classes dangeureuses », est
réactivée par la diabolisation des banlieues et
des collèges qui s’y trouvent… On voit
mal comment elles échapperaient aux valeurs d’une
société qui ne propose d’autre
idéal que l’exaltation de la
compétition, de la rivalité et de
l’insécurité (y compris
professionnelle) ». (Le monde diplomatique octobre 2000)
La gauche a renoncé à combattre ce
système. Elle se limite à le gérer. En
terme d’éducation, le bilan est lourd. Elle
mène une politique
d’austérité masquée. Alors
que les mouvements de grèves de cette année
soulignaient le manque criant de personnels, le budget 2001 sur
l’éducation propose 390 créations
d’emplois pour les 6500 collèges et
lycées, soit 1,08 heure d’enseignement par
établissement ! (US septembre 2000 n°529) Le PIB
français, c’est à dire la
quantité totale de richesses produites, a
progressé de 9,3% entre 1996 et 1999. Le budget de
l’éducation a lui progressé de 5% dans
le même temps : la place de l’éducation
dans les richesses produites ne cesse de baisser. C’est sous
un gouvernement de gauche que les services publics subissent les
attaques les plus graves depuis des dizaines
d’années. Le sociologue Loïc Wacquant a
très bien mis en évidence dans Les prisons de la
misère la relation étroite entre la destruction
des services publics et la guerre économique impitoyable que
se mènent les grandes multinationales : « Le
regain d’Etat policier et pénal va avec le moins
d’Etat économique et social ; la main invisible du
marché, chère aux libéraux, marche
avec la poigne de fer de l’Etat ». (colloque
Pénalisation de la misère, juin 2000) Ils ferment
des écoles mais ouvrent des prisons.
Dans sa course impitoyable au profit, la bourgeoisie estime
qu’éduquer les masses doit coûter moins
cher et être directement contrôlé par le
patronat. Il lui faut des écoles pour ses techniciens
à la qualification hyperpointue, dont elle a besoin pour
faire fonctionner sa technologie de plus en plus complexe. Mais quel
besoin d’enseigner la littérature à un
informaticien ? De même, pourquoi enseigner plus que les
compétences minimales (lire, écrire, compter)
à quelqu’un qui va devenir vendeur de hamburger ?
« Les plans actuels du patronat prévoient la forme
la plus radicale de privatisation de l’enseignement : la
disparition pure et simple de l’école, au profit
de réseaux d’enseignement à distance.
Chacun n’accèdera plus que strictement aux savoirs
et aux compétences qui lui seront nécessaires
pour occuper, docilement, la place qui lui est
réservé dans l’infernale machine
capitaliste. » (Le tableau noir, p. 88)
(Ils veulent nous formater, nous décerebrer,
l’école sera seulement pour les riches : rapport
du commissariat au plan)
Au début de ce siècle,
l’école fut un outil d’une incroyable
efficacité pour propager l’idéologie
nationaliste et militariste. L’école
républicaine ne fut que l’outil pour envoyer des
millions de travailleurs et de paysans massacrer leurs
frères allemands. Déjà la
social-démocratie avait abdiquée devant la
logique capitaliste. Aujourd’hui encore, les riches veulent
utiliser l’école pour produire des millions de
petits soldats du travail, obéissant et pas chers, et
s’il le faut ils nous enverrons massacrer pour la «
paix et la liberté ».
Gérard de Selys et Nico Hirtt écrivaient en 1998
: « Les nantis ont toujours peur de la rue. C’est
la rue qui charrie les foules mécontentes. C’est
dans les rues que se dressent, épisodiquement, des
barricades. C’est la fureur de la rue, quand elle est aux
mains des foules, qui fait trembler les possédants. Qui les
chasse, parfois. Trente ans après les révoltes de
« mai 68 » qui les avaient tellement
effrayés, les riches préparent un projet barbare.
Détruire l’enseignement public, instruire
eux-mêmes ceux dont ils ont besoin et
décérébrer le reste de
l’humanité. Toute dictature tente de faire plier
les esprits sous ses dogmes. Mais ici, aujourd’hui, un plan
est mis en œuvre pour réduire l’homme
à une machine. Une machine à produire des
richesses, encore plus de richesses, pour quelques uns. Une machine
à acheter, à ne consommer que ce qui est
rentable. Pour quelques uns. Il faut s’insurger. Il faut y
opposer une véritable insurrection. Nous devons informer,
réfléchir, discuter, nous unir, nous organiser,
rallier ceux qui pourraient se croire à l’abri ou
ne pas se sentir concernés. Nous sommes tous
concernés. Femmes et hommes, jeunes et vieux, sur la terre
entière. Dans les universités, les
écoles, les usines et les bureaux ». (p.89)
Depuis, nous avons vu une vague mondiale de résistance, sans
précédent depuis 1968. Des milliers
d’enseignants ont manifesté avec leurs syndicats
à Seattle, aux côtés de ceux qui
luttent pour Mumia Abu Jamal, pour l’environnement. Alors que
l’on veut nous priver de connaissance, des dizaines de
milliers d’étudiants, de jeunes travailleurs dont
de nombreux enseignants, ont participé à des
conférences avec Pierre Bourdieu, Susan Georges, Naomi
Klein, … à Seattle, Washington, Millau,
Melbourne, Prague…
Les grandes grèves de l’éducation sont
au cœur de ce processus de polarisation de classe. En Seine
Saint Denis, 95ème département
français en terme de création d’emplois
sur 96, des enseignants ont organisés des classes sauvages
dans des hypermarchés, avec les parents
d’élèves pour dénoncer les
méfaits du système. Au Havre, l’hiver
dernier, 35 établissements sur 36 ont formé une
assemblée générale de
grève, invitant des centaines de personnes de
l’avenir de l’éducation dans une
conférence avec Nico Hirtt. On voit émerger
à nouveau dans les luttes les embryons d’une autre
école, gérée par et pour la base. Mais
ils vont pas nous laisser faire. Les promesses totalement
démagogiques de Jack Lang sur des écoles
« expérimentales, gérées par
les personnels » ne sont qu’un mensonge. Il veut
nous séduire, nous tromper. Comme j’ai
essayé de le montrer tout au long de cette brochure,
l’école capitaliste est indissociable des rapports
de production. Nous ne pourrons construire une autre école
qu’en construisant un autre monde. Pour
débarrasser l’école de son esprit de
caserne, il faut débarrasser la
société des rapports d’exploitation et
de domination.
Plus que jamais, le monde a besoin de connaissance, mais il
s’agit de mettre cette connaissance au service des besoins
humains. Le capitalisme génère des
problèmes sans précédents pour
l’humanité. Que faire pour se
débarrasser des quantités incroyables de
matière radioactive accumulées par 50 ans de
concurrence économique et militaire ? Comment faire face aux
dégâts à venir liés
à l’effet de serre et au réchauffement
de la planète, alors que le capitalisme ne cesse
d’augmenter sa production de gaz industriels ?
Aujourd’hui, les industriels pharmaceutiques
réduisent leurs investissement dans la recherche contre le
SIDA, car ils estiment que ce n’est pas rentable…
Dans Critique de l’économie politique, Marx met en
évidence la relation fondamentale entre les forces
productives et les rapports sociaux. Un métier à
tisser ou un ordinateur sont des forces productives capables de
produire de la valeur, mais ces forces productives sont toujours
inventées, développées dans le
contexte de rapports sociaux de production particulier, c’est
à dire des rapports d’exploitation. « A
un certain degré de leur développement, les
forces productives matérielles de la
société entrent en collision avec les rapports de
production existants, ou avec les rapports de
propriété au sein desquels elle
s’étaient mues jusqu’alors, et qui
n’en sont que l’expression juridique. Hier encore
formes de développement des forces productives, ces
conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une
ère de révolution sociale » (Critique
de l’économie politique, p. 273)
Rien ne tombera du ciel, c’est l’homme qui fait
l’histoire. Nous devons lutter pour un monde qui ne soit plus
dominé par le profit, la richesse de quelques-uns au
détriment de tous. « Nous devrons
détruire ce système qui, depuis qu’il
existe, a provoqué misère croissante et guerres
répétées. Nous devrons
établir un monde dans lequel les immenses richesses
produites le soient pour tous, sans restriction, sans discrimination
d’aucune sorte. Un monde où les usines, les
bureaux, les écoles seront propriétés
de la collectivité humaine. Pour le bien de tous.
C’est possible. » (Le tableau noir, p.91)
Parce qu’elle a peur de la colère des masses, la
classe dirigeante veut nous priver de connaissance. Elle veut
détruire la mémoire de nos luttes, propager le
mysticisme. L’étude, même
légère, de la révolution russe et des
révolutions qui suivirent en Hongrie en 1919, en Allemagne
en 1919-23, en Italie en 1920 a disparu du programme des
collèges. Aux Etats Unis, la théorie
créationniste (Dieu créa le monde) est
enseignée à l’université
contre la théorie de l’évolution de
Darwin. Nous devons donc défendre
l’école, mais aussi construire nos propres
écoles, des école de lutte, produire nos propres
idées, nous organiser. Si nous le faisons pas,
l’histoire se répétera. Ainsi, en mai
1940, le révolutionnaire russe Trotsky lançait
cet avertissement : « Avec le niveau de la technologie et la
qualification des travailleurs actuellement atteinte, il est tout
à fait possible de créer des conditions propres
au développement matériel et spirituel de toute
l’humanité. Il faudrait seulement organiser la vie
économique dans chaque pays et sur toute la
planète, correctement, scientifiquement et rationnellement,
conformémént à un plan
général. Mais aussi longtemps que les principales
forces productives de la société seront
possédées par les trusts, c’est
à dire par des cliques capitalistes isolées,
aussi longtemps pour la lutte pour les marchés, pour les
sources de matières premières, pour
l’administration du monde, doit inévitablement
prendre un caractère de plus en plus destructif. Le pouvoir
de l’Etat, et la domination sur
l’économie ne peuvent être
arrachées des mains des cliques impérialistes
rapaces que par la classe ouvrière
révolutionnaire. Telle est la signification de
l’avertissement de Lénine, à savoir que
« sans une série de révolutions
victorieuses », une nouvelle guerre impérialiste
suivrait inévitablement. Les différentes
prédictions et promesses qui furent faites se sont
trouvées soumises à
l’épreuve des évènements. Le
conte de fées « d’une guerre pour tuer
les guerres » s’est avéré
être un mensonge. La prédiction de
Lénine est aujourd’hui une tragique
vérité ».
L’éducation est au cœur
aujourd’hui de cette tourmente.
L’internationalisation du capital et la concurrence
à l’échelle du marché
mondial a conduit à
l’accélération depuis quelques
années du processus de concentration du capital qui
s’exprime aujourd’hui par les vagues de fusions
pour constituer des groupes de plus en plus géant. On
assiste à des effets contradictoires : la constitution de
blocs financiers géants se combine à un
rapprochement de l’Etat et du capital. Pour assurer le
fonctionnement de l’économie nationale,
l’Etat doit soutenir inconditionnellement des groupes dont
l’effondrement de l’économie nationale.
Pour s’imposer sur le marché mondial les groupes
ont besoin des arguments musclés de l’Etat qui les
soutient. Cette vague touche de plein fouet les secteurs de la culture
et de l’éducation.
L’éducation est aujourd’hui un des
terrain de leur guerre économique, comme on l’a vu
à Vancouver en mai 2000. Comme le montrait Marx, les
sphères idéologiques, économiques et
politiques sont inséparables. Ils dominent
l’idéologie, dont
l’éducation, parce qu’ils dominent
l’économie. Mais ils sous estiment
l’initiative, le dynamisme, la solidarité, la
confiance des luttes collectives. Décembre 1995 a
redonné espoir à des millions de personnes, en
France et dans le monde entier. Nous ne pourrons pas rester
à mi-chemin. Pour changer le monde, il nous faut le
comprendre. Cette brochure se veut un premier pas pour reprendre les
idées marxistes sur la question de
l’éducation. Le retour à Marx me
paraît fondamental. Il offre une base d’analyse
pour comprendre les idées : « La production des
idées, des représentations de la conscience est,
de prime abord, directement mêlée à
l’activité et au commerce matériels des
hommes : elle est le langage de la vie réelle. Ici, la
manière d’imaginer et de penser, le commerce
intellectuel des hommes apparaissent comme
l’émanation directe de leur production
matérielle. Il en va de même pour la production
intellectuelle, telle qu’elle se manifeste dans le langage de
la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la
métaphysique, etc., d’un peuple. Ce sont les
hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de
leurs idées, etc., mais ce sont les hommes réels,
oeuvrant , tels qu’ils sont conditionnés par un
développement déterminé de leurs
forces productives et du commerce qui leur correspond jusque dans ses
formes les plus étendues. La conscience ne peut jamais
être autre chose que l’être conscient, et
l’être des hommes est leur process de vie
réel » (Karl Marx,
L’Idéologie allemande)
Changeons la réalité, et nous changerons les
idées : « l’émancipation des
travailleurs sera l’œuvre des travailleurs
eux-mêmes ».
Pour conclure, je reprends les mots de Gérard de Selys et
Nico Hirtt : « Sans cesse, nous devons reprendre nos livres.
Y découvrir l’immense richesse des histoires et
des savoirs humains. Pour dire non au monde que l’on nous
fait aujourd’hui. Un monde noir de malheur. Et
bâtir le monde de demain. Un monde de couleurs où
existera enfin, pour tous, le plaisir d’apprendre »
(p. 91).