Dossier Editer Marx - entretien avec gilbert badia et lucien sève (Le magazine littéraire, 1973)

Dossier Editer Marx - entretien avec gilbert badia et lucien sève (Le magazine littéraire, 1973)


Les Editions Sociales sont sans aucun doute la plus grosse maison d'édition de Marx et d'Engels. Mais vous n'avez, pas encore, et de loin, publié toute l'œuvre de Marx et d'Engels. Comment faites-vous vos choix dans la masse des inédits ? Car il n'y a pas de choix politiquement neu­tre... Où en êtes-vous de votre édition de Marx et d'Engels et que pensez-vous des critiques que l'on vous fait ?


Lucien Sève. Pendant longtemps, les Editions Sociales ont eu un fonds Marx-Engels très lacunaire. Aujourd'hui, après un travail considérable et qui va même en s'accélérant depuis quelque temps, nous disposons dans notre fonds de près de dix mille pages de Marx et notamment, à quelques rares mais importantes excep­tions près, de toutes les œuvres essentielles. Le terme peut prêter à discussion. Dangeville disait récemment qu'un article poli­tique de Marx peut être aussi important que Le Capital... Ce n'est pas le lieu de polémiquer sur ce point. Tout Marx évi­demment nous importe. Mais il y a des ouvrages fondamentaux de Marx et d'En­gels et nous en avons publié la plus grande part.


Alors cette question des inédits...


S. Quand un éditeur publie, dans un recueil anthologique, une dizaine de pages inédites, certains en font immédiatement grand cas. Notez au passage que cela prouve à quel point Marx importe dans les milieux culturels français, mais regar­dons les choses en face. Quel éditeur a publié, plus que nous, des inédits de Marx ? Les chiffres ne se comparent même pas. En quatre ans, nous avons publié trois mille pages de Marx et d'En­gels. Pour l'essentiel il s'agissait d'inédits ou de textes introuvables dans leurs tra­ductions antérieures, extrêmement contes­tables du reste. Il y a cinq ans nous avions publié la version intégrale de l'Idéologie allemande (qui ne se réduit pas à sa première partie, la plus connue parce qu'elle figure au programme du bacca­lauréat !) ; mais même sans remonter si loin dans le temps, nous avons aussi publié La Sainte Famille, puis les trois volumes de La Nouvelle Gazette rhénane, textes inédits en France. Il n'est donc pas sérieux de nous reprocher de négliger les articles politiques de Marx quand juste­ment nous consacrons trois volumes à ce qui fut la principale - mais non la seule - activité journalistique de Marx.


Et maintenant, vous vous consacrez à l'édition de la Correspondance Marx-Engels. L'entreprise semble colossale...


L. S. En effet, et c'est une entreprise dont nous sommes particulièrement fiers, un monument dont on commence tout juste à apercevoir la taille. Le lecteur a pu ne pas s'en rendre compte en voyant le pre­mier tome. Il y a peu de lettres entre 1835 et 1842 et ce volume couvre la période de 1835-1848. On pourrait croire qu'à ce rythme tout sera dit en trois volumes ! En fait, en évaluant chaque volume à cinq cents pages environ, nous estimons aujour­d'hui que cette édition en comportera une vingtaine. Trois volumes sont déjà parus, le quatrième est sous presse et nous continuerons la publication à peu près au même rythme, cinq volumes tous les deux ans.

Gilbert Badia Je voudrais ajouter qu'il s'agit là d'une édition absolument intégrale de la Correspondance de Marx et d'Engels où seules manquent des lettres perdues. Il y eut plusieurs éditions de la Correspon­dance, très fragmentaires, plus ou moins « caviardées ». La première (4 vol. publiés en 1913 par Bebel et Bernstein) voulait ménager les susceptibilités de contempo­rains durement étrillés par Marx ou Engels dans leurs lettres.

Il faut dire aussi que notre travail d'édi­tion est original. Nous avons en effet adopté un ordre strictement chronologique. On ne trouvera donc pas dans une section des lettres de Marx à Engels, cent pages plus loin des lettres à Kugelmann et cin­quante pages plus loin des lettres de Jenny Marx datant de la même semaine. Nous avons eu le souci de serrer au plus près l'évolution de la pensée et du travail de Marx et d'Engels et pour cela, l'ordre chronologique était indispensable. Nous avons eu d'ailleurs la satisfaction de voir nos camarades allemands et soviétiques qui travaillent à la nouvelle Mega avaient adopter notre point de vue sur ce point.


Vous évoquiez tout à l'heure des « excep­tions rares mais importantes », à quoi pensiez-vous précisément ?


G. B. Pour commencer, nous allons com­mencer à publier très prochainement les Théories sur la plus-value, autrement dit le livre IV du Capital : trois volumes d'un texte publié autrefois par Costes dans une édition invraisemblable et de toute façon introuvable aujourd'hui. Ces trois volumes vont constituer avec les huit volumes du Capital un ensemble scientifique d'une portée considérable. Nous ne négligeons pas pour autant l'œuvre de jeunesse de Marx. Nous avons en préparation très avancée la Critique du droit politique hégélien. Avec ce manuscrit de 1843, ajouté à ce que nous avons déjà publié, les Manuscrits de 1844, la Sainte Famille, l'Idéologie allemande, nous aurons édité ce qui compte le plus dans l'œuvre de jeu­nesse de Marx et d'Engels.


Les éditions Anthropos et maintenant 10/18 ont publié les Grundrisse dans une traduction de Dangeville que, je crois, vous contestez fortement. Mais les Grun­drisse ne figurent pas dans votre fonds...


S. Rassurez-vous, nous en mettons la préparation à l'ordre du jour de nos équi­pes de traducteurs. Nous traiterons ce travail comme nous l'avons fait jusqu'à présent, comme nous venons de le faire pour les Théories sur la plus-value, en ayant soin de partir d'un texte rigoureusement établi et avec des exigences de traduction que nous ne trouvons pas chez les autres éditeurs qui publient Marx.

Il ne s'agit pas de traiter par le mépris le travail de ces traducteurs. La traduction des Grundrisse, telle qu'elle est, et aussi inacceptable qu'elle soit à certains égards, est malgré tout utile et on peut dire de Dangeville qu'il contribue globalement à la connaissance de Marx en France. Cela dit, nous avons en effet beaucoup de cri­tiques à faire à son travail. Permettez-moi de citer un exemple. Récemment j'avais à faire une conférence au Centre d'Etudes et de Recherches Marxistes sur l'aliéna­tion. J'avais besoin, pour mon propos, de travailler de près sur les Grundrisse et j'ai pu, à cette occasion confronter la tra­duction de Dangeville au texte original. Dans un passage important Marx écrit : ici l'objectivation « apparaît comme une totale aliénation (Als totale Entfrem­dung) » et Dangeville traduit : « cette objectivation apparaît comme totale » (voir T. l, p. 450) ; le terme « Entfrem­dung » a disparu dans la traduction. L'exemple est loin d'être unique.

Vous comprendrez mieux peut-être notre souci si je vous dis que de plus en plus nous allons publier des textes importants dans notre collection bilingue. Pas possible de tricher, ni de se tromper avec le bilingue : croit-on que l'édition de Dange­ville supporterait d'être publiée avec le texte original en regard ? Nous ne le pen­sons pas.


Vous parlez souvent d'édition scientifique, de travail scientifique, qu'entendez-vous par là ?


G. B. L'établissement d'une édition scienti­fique implique de nombreux problèmes touchant à l'établissement du texte, à la forme et au choix d'une introduction et de notes, à la traduction elle-même. Nous ne traitons pas seulement l'aspect ger­manistique du travail : nos équipes com­prennent des traducteurs mais aussi des historiens, des philosophes, des écono­mistes qui sont souvent des germanistes aussi mais ce n'est pas essentiellement à ce titre que nous les sollicitons.

Le caractère plus ou moins scientifique d'une édition se marque aussi dans le programme qu'elle se fixe.

Mais ce qui est pour nous capital c'est le caractère collectif de notre travail. La col­laboration permanente de ces différents chercheurs nous permet de tenir le niveau d'exigences que nous nous fixons. Et il n'est pas seulement question de bien tra­duire ; l'immense travail fait jusqu'à pré­sent nous permet maintenant d'envisager une entreprise complètement nouvelle. C'est l'établissement d'un « Vocabulaire » de Marx et Engels, instrument qui fait cruellement défaut et que nous pensons mettre en chantier avec des délais de publication pas trop éloignés.


Ce serait l'équivalent pour le marxisme du Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis ?


L. S. Dans une certaine mesure, oui. Ce que nous pensons faire c'est une descrip­tion aussi rigoureuse que possible de l'occurrence des concepts créés par Marx et Engels (ou auxquels ils ont imprimé une marque théorique importante et identi­fiable) et d'analyser la signification qui se dégage objectivement des occurrences principales recensées et de leur développe­ment historique.


Pourriez-vous donner un exemple ?


G. B. Le terme « Force de travail ». II se dit en allemand Arbeitskraft. Marx a d'abord employé le terme de Arbeitsver­mögen qui se traduit par capacité ou puis­sance de travail (nous avons beaucoup dis­cuté sur ce point). Nous trouvons ce terme tout au long des Théories sur la plus-value, dans des manuscrits rédigés entre 1861 et 1863. Dans le Capital, six ans plus tard, les deux termes sont employés et Marx explique dans une note qu'ils signifient la même chose. Marx n'a pas toujours non plus employé le terme de « rapports de production », même s'il avait bien décrit la chose avant de la désigner.

Dans la lettre à Annenkov, qui date de décembre 1846 et est écrite en français. Marx, s'il emploie « forces productives », s'il parle de « rapport sociaux », de « rap­ports matériels », n'emploie pas encore l'expression « rapports de production ». Il explique que vient un moment où, pour les hommes, « le mode de leur com­merce », ne correspond plus aux forces productives. Et il précise qu'il emploie « commerce » au sens de Verkehr en allemand. Marx utilisera alors en allemand Verkehrsverhältnisse et seulement plus tard Produktionsverhältnisse. Nous vou­drions essayer de préciser quand et com­ment s'opère cette substitution. Ceci pour vous montrer rapidement de quelle façon nous voulons procéder : suivre « à la trace » les concepts en mon­trant comment ils apparaissent et ce qu'ils remplacent.



On voit bien l'utilité d'un tel travail pour les chercheurs, mais ne craignez-vous pas qu'on vous reproche de vous livrer à un exercice un peu byzantin ? De faire de Marx une sorte de livre sacré ? En un mot n'est-ce pas un retour au dogma­tisme ?


L. S. Je ne le pense vraiment pas. Je pense même qu'une telle entreprise peut avoir de nombreuses incidences quant à la compréhension de Marx en France. Depuis une dizaine d'années nous avons assisté à un essor considérable de la recherche théorique marxiste et sur Marx lui-même, recherche menée avec beau­coup de sérieux et de rigueur. Vous voyez de qui, de quel ensemble de chercheurs je veux parler... Ce qui me frappe, c'est que, dans son souci de rigueur théorique, ce travail marxiste n'est pas fondé sur une vision préalable, objective et sans préjugé de tout le corpus. Tel de ces cher­cheurs travaille de manière sélective à partir d'une œuvre ou d'un groupe d'œuvres laissant de côté, toute une autre partie de l'œuvre de Marx. Comment peut-on aboutir ainsi à une conclusion théorique fondée si l'on a pas une idée de l'ensemble des textes et, dans ces textes, des concepts qui fonctionnent? La question de l'aliénation par exemple. Elle sera forcément mal posée si l'on ne repère pas, non pas le mot correspondant chez Marx, mais tous les cercles de voca­bulaire qui s'y rapportent : Entfremdung, Fremdheit, Entäusserung, Veräusserung. Si l'on s'en tient pour traduire ce voca­bulaire très vaste et très varié au seul mot français d'aliénation, sans même parler de la connotation pathologique du terme en français, on crée en partie un problème qui n'existe pas chez Marx. La question de l'aliénation est, pour une part, un artefact français, créé par l'unité du mot et ses connotations. En allemand cer­taines de ces connotations n'existent pas, mais nous disposons en revanche d'un dispositif terminologique beaucoup plus vaste et beaucoup plus complexe dont l'évolution interne chez Marx est très intéressante à considérer.

Quand nous traduisons nous nous posons, et de plus en plus, des problèmes d'ordre théorique. Notre travail de traduction est inséparable d'une recherche constante dont l'établissement de ce vocabulaire devrait vous donner la preuve. Vraiment, publier Marx n'est pas pour nous un travail de théologiens ; ce n'est pas publier La Loi et les Prophètes ! Il faut aussi considérer que l'œuvre de Marx est encore toute jeune. Matériellement parlant, il y a encore beaucoup à découvrir ; cela interdit tout dogmatisme dans une entre­prise comme la nôtre.



Toute jeune, n'est-ce pas un peu para­doxal ? L'œuvre de Marx a un siècle d'âge, le Parti communiste français a plus de cinquante ans. Comment expliquez-vous qu'il ait fallu tellement de temps pour qu'on édite systématiquement Marx et Engels en France ?


L. S. C'est un problème essentiellement politique. L'histoire de l'édition de Marx est un peu l'histoire du mouvement ouvrier. On pourrait remonter au début du siècle et même à la Commune de Paris. Pour s'en tenir à une époque plus récente, il faut comprendre qu'après la scission du Congrès de Tours en 1920 entre communistes et socialistes, l'accent va être mis par le jeune Parti communiste sur ce qui fonde sa spécificité, moins Marx lui-même que la continuité révolutionnaire de Marx. Aussi les auteurs publiés par le Parti sont-ils d'abord Lénine, Boukha­rine, Trotsky. En 1928 paraît le premier volume des œuvres complètes de Lénine - qui ne seront finalement pas des œuvres complètes, mais c'est une autre histoire - alors que le fonds Marx du Bureau d'Editions puis des Editions Sociales Internationales, qui sont nos pré­décesseurs, est encore très réduit.

En revanche, l'édition de Marx est prise en charge par Costes, un éditeur privé (qui a de nombreux liens dans la Social-démocratie), avec les défauts et les limites considérables que l'on sait. Cela n'empêche pas que nous sommes redevables à Costes qui, pour beaucoup d'entre nous, a permis le premier contact avec l'œuvre de Marx. Mais l'édition Costes ne pouvait pas abou­tir. L'avortement de Costes c'est aussi l'avortement d'un marxisme abâtardi par la S.F.I.O., et transformé en un oppor­tunisme récupérable par la bourgeoisie. Cette édition, la S.F.I.O., ne l'a jamais prise en charge comme une tâche de Parti, alors que pour le Parti communiste, l'édition de Marx est liée à l'approfondis­sement du travail politique et théorique. Il n'est pas sans signification qu'au moment où Costes, après la guerre, se contentait de réimprimer son fonds sans rien publier de nouveau, ce soit le Parti communiste qui ait joué le rôle principal dans l'édition de Marx en France.



Mais pas exclusif...


L. S. Pas exclusif en effet. Mais il y aurait là encore une analyse politique à faire de chaque tentative d'édition de Marx hors de chez nous. A notre avis, les faiblesses scientifiques de l'édition de Rubel par exemple, ont une signification politique...

G. B. Nous avons l'air de faire un procès à Rubel. Ce n'est vraiment pas notre propos. Je pose simplement la question : pensez-vous qu'un éditeur français sérieux tolérerait que l'on traite Voltaire ou Diderot comme Rubel a traité Marx ? Qu'un présentateur décide que Molière s'est trompé en plaçant ici son acte V et qu'il serait plus juste de le mettre à la place de l'acte III ? C'est pourtant ce que Rubel fait.

Le livre I du Capital a été publié par Marx de son vivant. Non seulement en allemand, mais en russe, anglais et fran­çais dans un texte qu'il a soigneusement revu. Marx a choisi un ordre et des titres pour ses chapitres. Rubel décide que ce n'est pas sérieux. Que le chapitre sur la colonisation par exemple n'est à cette place que pour d'évidentes raisons de censure, et il le met ailleurs. Il disloque Le Capital et renvoie en annexe toute une série de chapitres. Croyez-vous que l'on puisse traiter ainsi l'œuvre d'un auteur français sans être immédiatement décon­sidéré ?

Et Rubel a continué. Il a refait les Livres II et III du Capital qui ont été édités par Engels sur la base des manus­crits de Marx. Engels écrit : « Je me suis borné à reproduire les manuscrits aussi littéralement que possible, en ne modifiant dans le style que ce que Marx aurait lui-même modifié. » Engels savait de quoi il parlait. La lecture de la Correspondance montre le degré de leur collaboration. Mais Rubel n'en tient pas compte, il refait ce qu'à fait Engels, en mieux pense-t-il. Et ensuite, pour composer les Livres II et III, il prend des extraits de lettres, des passages des Grundrisse qui sont un manuscrit antérieur, des extraits d'autres manuscrits, il met le tout bout à bout et le sert tout chaud au lecteur ! Nous pensons qu'un tel travail est scien­tifiquement insoutenable. Il opère de même avec la correspondance, attribuant à Marx une lettre à Véra Zassoulitch qu'il fabrique à partir de trois brouillons dif­férents. Je suis pour ma part totalement opposé à ce salmis. Nous nous devons, vis-à-vis du lecteur, de publier Marx et Engels et non Marx et Engels revus par... Aux Editions Sociales nous multiplions dans nos publications les notes et les références qui permettent au lecteur de situer un personnage, un événement, une idée. C'est également l'objet de nos intro­ductions. Mais nous évitons autant que possible toute note interprétative. Nous ne voulons pas « éclairer » Marx à la lumière d'aujourd'hui. Nous ne voulons pas présenter une « version 1973 » de Marx ! C'est un parti-pris fondamental. Maspero a publié récemment quatre petits volumes intitulés Le Parti de classe par Marx et Engels, présentés et annotés par Dangeville. Les notes y sont souvent plus longues que le texte lui-même. Ces notes ne servent pas à dater les textes choisis, à leur restituer leur environnement histo­rique, ce qui serait très utile, ce sont souvent des commentaires et des essais d'interprétation qu'il n'est pas de mon propos de discuter ici. Pourquoi attribuer à Marx et à Engels ce qui revient à Dangeville et ne pas dire au lecteur, dès la couverture, ce qu'il en est réellement ? Si je cite ces exemples, ce n'est pas pour chercher querelle à qui que ce soit, s'est pour marquer des différences fondamen­tales dans la conception du travail d'édi­tion des œuvres de Marx et Engels.



Vous avez évoqué tout à l'heure à propos de la Correspondance la nouvelle Mega, où en est-elle ?


G. B. C'est une entreprise gigantesque pour laquelle les instituts Marx-Engels de Berlin et de Moscou ont décidé d'unir leurs forces et qui requiert la collaboration de chercheurs de tous les pays. Ce sera la véritable édition définitive des œuvres complètes de Marx et Engels. Elle com­prendra non seulement tous les textes, mais toutes les versions et traductions auxquelles Marx et Engels ont collaboré. Vous y trouverez par exemple toutes les éditions du Capital contemporaines de Marx. Ce sera aussi un travail très long dont l'achèvement se situe vers l'an 20001, mais la discussion internationale d'un volume zéro a déjà commencé, volume sur lequel nous avons été appelés à donner notre opinion.



Votre ambition est plus modeste ?


L. S. La nouvelle Mega sera un outil de travail considérable mais évidemment un ouvrage d'érudition. Ce que nous vou­lons faire c'est une grande édition de Marx et d'Engels qui, sans être intégrale, contienne tout ce qui a importance dans leur œuvres.

Ce sera, en volume, l'équivalent de l'édi­tion Dietz. Cela ne veut pas dire que nous reprenons systématiquement tout ce qui se trouve chez Dietz. mais inversement nous publierons des textes qui n'y sont pas.



Vous prévoyez je crois, de trente à qua­rante volumes. La différence avec le projet de la nouvelle Mega est considérable. Quels sont vos critères de choix pour retenir ce qui a « importance », ne va-t-on pas parler de censure ?


G. B. Ne vous méprenez pas. Nous n'opé­rons pas de censure dans l'œuvre de Marx et d'Engels. Nous ne choisissons pas chez Marx ce qui nous intéresse pour laisser le reste de côté. Mais par exemple, Engels a rédigé tous les articles militaires d'une encyclopédie américaine. C'était pour une part un travail alimentaire dont certains aspects sont cependant d'un grand inté­rêt ; l'article Bugeaud, où Engels nous montre sa vision de la conquête de l'Algé­rie, nous le reprendrons, mais l'article arquebuse... Dans la nouvelle Mega, seront publiés tous les cahiers d'extraits de Marx. Marx avait l'habitude de noter tout ce qu'il lisait, recopiant des passages entiers de livres avec de brefs commen­taires ou pas de commentaire du tout. C'est en soi intéressant de voir ce que lisait Marx et ce qu'il choisissait dans les livres qu'il utilisait. Mais nous n'avons pas pour le moment la possibilité maté­rielle de publier cela. Nous ne voulons ni ne pouvons publier une autre Mega en version française, mais donner au public français la grande édition dont il a besoin.



Votre grande édition, pour n'être pus un ouvrage d'érudition, n'en est pas moins d'un accès difficile à qui n'a rien lu de Marx, ni d'Engels. Il semble malaisé de commencer par Le Capital...


L. S. Bien sûr. Mais l'activité des Edi­tions Sociales pour ce qui concerne Marx et Engels ne s'arrête pas là. Nous publions au prix et au format du poche tous les grands textes courts, le Manifeste ; Salaire, Prix et Profit, Socialisme utopique et socialisme scientifique ; La guerre civile en France, etc. Autant de livres dont le succès ne se dément pas. Nous travaillons beaucoup à des anthologies qui s'adressent au vaste public qui veut s'initier au marxisme et qui sont des textes permettant une lecture cursive de l'œuvre de Marx et d'Engels suivant des grands thèmes. Textes sur la Religion, par exemple ou Etudes philosophiques, ou encore les Textes choisis de Marx présentés par J. Kanapa que nous avons publiés récem­ment.

Nous faisons également un gros effort en direction de nos éditions bilingues qui constituent d'excellents outils de travail. Déjà trois volumes parus, toujours au prix du livre de poche, et nous allons continuer. Nous pouvons aussi annoncer la parution prochaine du Capital en format de poche.

Vous voyez que l'éventail est vaste. Mais je voudrais dire aussi que nous ne faisons aucune discrimination entre nos éditions « populaires » s'adressant à un vaste public, et notre travail de recherche pour constituer la grande édition. Nos exigences de qualité, tant pour l'établis­sement du texte que pour la traduction sont identiques. Dès qu'un titre est épuisé dans nos collections de poche nous retra­vaillons sur le texte avant de le réimpri­mer. Rien pour nous n'est jamais défini­tivement acquis.



propos recueillis par Marc Kravetz


1 En fait la MEGA n'est toujours pas achevée en 2008, mais au moins n'a-t-elle pas été abandonnée. Voir http://www.iisg.nl/~imes/intromega.php NdW