Analyse – Après la Guerre des Trente Trois Jours Automne 2006 (texte original )
Analyse – Après la Guerre des 33 Jours

Analyse – Après la Guerre des Trente Trois Jours


par Chris Harman


(Extraits)


(…)

Les chi’ites du Liban sont, historiquement, la section la plus opprimée de la population. Cela ne signifie pas qu’ils ont toujours été dans leur totalité paysans ou ouvriers. Il y a eu de tous temps une poignée de familles très riches, ainsi qu’une couche de la classe moyenne constituée de boutiquiers, négociants et professions libérales. Mais par comparaison aux autres groupes religieux du pays, une fraction bien plus grande de chi’ites appartenaient aux classes inférieures – ils étaient « sur-représentés dans la classe laborieuse des secteurs sous-développés de l’industrie et de l’agriculture » (1). Même les classes moyennes étaient opprimées par la structure étatique léguée par l’impérialisme français, qui avait divisé le pouvoir politique entre les chefs des chrétiens maronites, des musulmans sunnites et des Druzes. Après le départ des Français, 40% des postes les plus élevés de l’administration étaient occupés par des maronites, 27% par des sunnites, avec seulement 3,2% de chi’ites (2). Ces discriminations se sont fondamentalement maintenues, dans des proportions plus modestes, jusqu’aux accords de Taif qui ont mis fin à la guerre civile en 1989.


Deux éléments ont interagi pour donner naissance au Hezbollah en tant que mouvement. Le premier était lié à la révolution iranienne de 1979, qui avait porté au pouvoir un régime dirigé par des religieux chi’ites. Certains éléments du clergé chi’ite libanais avaient des attaches culturelles et familiales avec les Iraniens victorieux et étaient inspirés par leur idéologie, qui proposait de surmonter l’oppression et la pauvreté par la création d’une « communauté » islamique unissant les riches et les pauvres, se débarrassant de la cupidité et de l’atomisation résultant des « influences occidentales ». Ils cherchaient à apporter le changement en combinant les sermons religieux avec l’établissement d’un « mouvement socio-politique porteur de la mission primordiale de soulager la pauvreté », en particulier au Sud Liban, dans la Bekaa orientale, et dans les « zones de misère autour de Beyrouth » (3).


Le second élément a été l’invasion du Liban par Israël en 1978 et 1982, qui se proposait d’écraser les Palestiniens. Il est devenu rapidement clair que c’était la population libanaise locale, essentiellement chi’ite, qui subissait l’occupation israélienne. Dans la plaine de la Bekaa, le clergé chi’ite radical entreprit de créer, en collaboration avec d’importants détachements de Gardes Révolutionnaires iraniens, une organisation de guérilla capable de prendre en charge la résistance à l’occupation israélienne. L’entraînement n’était pas seulement militaire. Il comportait un très important contenu religieux, destiné à susciter un dévouement intense dans la lutte :


Les combattants du Hezbollah doivent passer par le djihad supérieur, à savoir la transformation spirituelle par la religion, s’ils veulent maîtriser le djihad inférieur, c’est-à-dire la lutte armée qui exige le martyre. En surmontant leurs désirs personnels et terrestres, en acceptant les vertus du martyre, les combattants du Hezbollah ont pu répandre la peur parmi leurs ennemis (4).


Le consentement au martyre était considéré comme essentiel pour la lutte – « le déséquilibre de la puissance » dû à l’armement bien plus important des Israéliens « ne pouvait être rétabli qu’à travers le martyre » (5). Et un engagement religieux profond dans le chi’isme était nécessaire pour mettre en place l’état d’esprit requis. Mais les attentats suicides n’étaient absolument pas la forme habituelle ou prédominante de lutte.


« La priorité allait aux méthodes qui ne rendaient pas le martyre nécessaire... On n’a recensé que douze opérations exécutées à l’aide d’autos piégées ». Le martyre passait essentiellement par des opérations « atypiques » dans lesquelles la mort était un des « résultats attendus » (6).


La clé de la stratégie du Hezbollah contre l’armée d’occupation israélienne au Sud-Liban, de 1982 à 2000, a consisté à frapper l’ennemi de façon inattendue, et à ne pas s’engager dans des combats soi-disant héroïques mais en réalité désastreux. Ainsi, le nombre des opérations est passé de 100 en 1985-89 à 1030 en 1990-95 et 4928 en 1996-2000 (7), et la confusion dans laquelle les forces israéliennes se sont finalement retirées a donné un essor considérable à la popularité du Hezbollah. Selon certaines sources, il y a trois ans le Hezbollah comptait « 20.000 combattants et 5.000 agents de sécurité » (8).


Sa popularité est telle que des non-chi’ites ont voulu se joindre à ses activités de résistance, et qu’il a constitué pour eux des unités spéciales de guérilla – même s’il s’assure que le contrôle général est entre les mains des « dévots ». Selon Hamzeh, le Courant Islamique du Hezbollah comprend des groupes sunnites qui coordonnent leurs activités avec le Hezbollah, plus les Brigades Libanaises de Résistance, qui comportent aussi bien des islamistes que des non-islamistes (9). Au cours de la Guerre des Trente Trois Jours, il a aussi coordonné ses actions avec des groupes de résistance indépendants, comme par exemple ceux qui sont dirigés par le Parti Communiste Libanais.


De même que le Hezbollah n’a pas commencé uniquement comme organisation militaire, il est aujourd’hui beaucoup plus que cela. Son réseau de protection sociale, avec ses cliniques, ses hôpitaux, ses écoles, ses bourses communautaires et éducatives, s’est développé massivement, au point que, selon certaines sources, il est plus important que celui de l’Etat libanais dans les faubourgs sud de Beyrouth, dans la plaine de la Bekaa et au Sud Liban (10). On dit que ses unités médicales, par exemple, ont traité plus d’un demi-million de personnes en un an. Et afin d’affermir le soutien dont il bénéficie, il est passé de la fourniture de services aux chi’ites pour se tourner, dans les localités qu’il contrôle, vers des sunnites, des chrétiens et des Druzes.


Il dispose d’une chaîne TV complètement équipée, al-Manar, où règne « une atmosphère de grande société avec plusieurs centaines d’employés » (11), et «  son courant syndical a des représentants dans la Fédération Libanaise du Travail, les syndicats libanais, l’Union des Fermiers Libanais, la Lebanese University Faculty Association, l’Association Syndicale des Ingénieurs, la Lebanese University Student Association » (12).


C’est ce réseau d’activités et d’organisations qui explique le degré de soutien populaire qu’il a construit, qui lui permet d’opérer sous les tourelles des chars israéliens. Il lui a aussi permis de s’insérer au centre même des institutions publiques libanaises, en exerçant une influence sur les autorités locales, les parlementaires, et, depuis l’an passé, sur deux membres du gouvernement.


Cela implique cependant des compromis, qui sont de deux sortes.


Les premiers concernent sa base religieuse. Les chi’ites sont minoritaires dans la société libanaise, même s’ils sont aujourd’hui la minorité unique la plus importante, et il existe d’autres forces politiques que le Hezbollah parmi les chi’ites. Pour construire l’influence de leur organisation dans une telle situation – et pour éviter de plonger le pays dans une autre guerre civile religieuse – la direction du Hezbollah a dû, en fait, abandonner la revendication d’un Etat islamique chi’ite, base sur laquelle il avait été fondé sous l’influence de Khomeini (13).


L’historien de l’organisation, Qassem, cite un extrait du Coran s’opposant à la coercition en matière religieuse et proclame que, par conséquent, « la création d’un Etat islamique n’est pas fonction de son adoption par un groupe ou une organisation l’imposant ensuite à d’autres groupes ». Le Hezbollah, dit-il, appelle à « la mise en place du système islamique basé sur un choix libre et direct par le peuple et non par son imposition forcée... » et que « nous croyons que notre expérience politique au Liban s’avère être un schéma en harmonie avec une vision islamique au sein d’une société mixte – un pays qui ne suivrait pas un mode de pensée islamique » (14). Aux élections municipales, le Hezbollah a donné une grande importance aux questions économiques et sociales, et « présenté ses candidats sur une base non-sectaire, mettant l’accent sur l’honnêteté et le sérieux dans la gestion municipale » (15).


Cela ne signifie pas que le Hezbollah s’est transformé en une organisation dans laquelle la pensée est libre. Il a dans le passé utilisé ses armes contre ceux qui s’opposaient à lui – au début des années 1980 contre certains combattants de la résistance communiste et contre son rival chi’ite Amal (bien que de nombreux militants communistes aient rejoint ses rangs peu après et qu’aujourd’hui il collabore aussi bien avec le PC qu’avec Amal), et ses dirigeants sont toujours impliqués dans une démarche religieuse, faisant de leur mieux pour obtenir l’acceptation de leurs notions (comme le port du voile) dans les zones qu’ils contrôlent. Ils essaient de les administrer en utilisant leur version de la charia (qui met un accent considérable sur le rôle des juges islamiques dans la médiation des conflits, ceci dans le but de briser de vieilles traditions de vendettas familiales) (16). Mais le fait que ses dirigeants tendent la main à des non-chi’ites, et même à des forces non religieuses, pour combattre le « Grand Satan » américain et le « Petit Satan » israélien, est un élément en contradiction avec le point de vue étroitement religieux dont ils sont partis, et a été un des facteurs des scissions passées au sein de la direction du Hezbollah (17). C’est une contradiction qui ira en s’approfondissant au fur et à mesure que la résistance non-chi’ite et non musulmane à l’impérialisme grandira internationalement.


Malgré tout, cette contradiction est combinée avec des compromis d’un ordre différent – avec l’Etat libanais, les autres partis politiques du pays, y compris ceux qui sont alignés sur l’impérialisme, et les autres Etats arabes. Le système politique libanais repose sur des accords passés par les dirigeants politiques au sein de chaque groupe religieux avec les autres groupes afin de conserver suffisamment de soutien étatique pour maintenir l’allégeance de leurs partisans. Dans un tel système, il peut y avoir un contentieux énorme entre différents partis, allant jusqu’au conflit armé, sans que l’essentiel du système politique et économique soit remis en cause. Après avoir au début dénoncé ce système, le Hezbollah a choisi d’y participer. Il a passé des accords électoraux non seulement avec la gauche anti-impérialiste mais aussi la droite pro-impérialiste. Aux élections, il a participé à des listes conduites par le Parti Communiste à Nabatiah et à Tyr – mais à Beyrouth il a rejoint une liste formée par Saad Hariri, le milliardaire, lié aux Saoudiens, fils du premier ministre assassiné Rafic Hariri. Il a justifié l’accord avec des adversaires idéologiques et politiques « pour maintenir l’équilibre sectaire » (18). Les accords les plus récents ont été passés avec le général maronite qui était premier ministre dans la dernière phase de la guerre civile de 1980, Michel Aoun.


On prétend que ces accords ont marginalement protégé le Hezbollah pendant la confrontation avec Israël. Aoun, cherchant après 15 ans d’exil à faire avancer ses ambitions présidentielles, a apporté son soutien au Hezbollah, notamment en organisant l’hébergement de milliers de réfugiés dans des villages chrétiens du Mont Liban. Mais le bloc pro-occidental d’Hariri, dominant au gouvernement, mettait ses espoirs dans une défaite du Hezbollah par Israël, afin de pouvoir prendre lui-même le contrôle du sud du pays (19). Ce qui a réellement protégé le Hezbollah, c’est sa large base sociale et ses capacités combattantes – si cela avait faibli ne serait-ce qu’un moment, la plupart de ses « alliés » l’auraient poignardé dans le dos pour le compte de leurs amis de Washington, de Paris ou de Riyad. Il est incontestable que ces accords restreignent ses capacités d’action.


Il votait contre les budgets de Rafic Hariri, parce que, disait-il, son gouvernements se comportait comme un « conseil d’administration » - Hariri traitant le pays comme un de ses business (20). En participant l’an dernier au gouvernement, il a choisi d’accepter cette façon de gouverner. Cela ne peut qu’affaiblir sa capacité à mettre en oeuvre l’amélioration des conditions d’existence des pauvres, sur laquelle il a construit sa base, et à ébranler l’emprise qu’exercent les politiciens sectaires sur leurs partisans. Le Hezbollah peut être capable de fournir des services sociaux à travers ses réseaux charitables. Mais il ne peut pas être un substitut au genre de services qui devraient et pourraient être fournis par l’Etat si celui-ci n’était pas engagé dans le capitalisme néolibéral.


Ces accords politiques réduisent aussi la capacité du Hezbollah à mener la lutte contre l’impérialisme et le capitalisme comme il aimerait le faire. Dans la phase finale de la Guerre des Trente Trois Jours le Hezbollah a subi une pression énorme pour signer l’accord de cessez-le-feu, ce qu’il a fini par faire. Mais celui-ci a maintenu les forces israéliennes au Liban, laissé intact le blocus israélien, et donné l’occasion à des troupes venues de France d’entrer dans le pays – alors même que le gouvernement français avait approuvé les Américains à propos du désarmement du Hezbollah. Leur dirigeant, Nasrallah, expliquait : « Nous sommes confrontés aux résultats, raisonnables et possibles, de la grande fermeté des Libanais exprimée à partir de leurs diverses positions » (21).


Le gouvernement pro-américain était « en danger d’effondrement » quand ses espoirs d’une rapide victoire israélienne se sont évanouis. Sa « survie même dépendait du Hezbollah. Le parti ne voit pas d’alternative au ‘consensus large’ ». Pourtant, depuis la victoire du Hezbollah « le gouvernement de Siniora s’est employé avec énergie à bloquer et à retarder l’effort de reconstruction tout en acceptant de l’argent américain... L’exemple le plus récent est le veto gouvernemental sur le paiement des allocations à ceux que la guerre a réduits au chômage – une mesure proposée par le ministre du travail, représentant du Hezbollah au gouvernement » (22).


Et il ne s’agit pas seulement de compromis domestiques. Le Hezbollah s’appuie depuis longtemps sur son alliance avec la Syrie. Naïm Qassem, reflétant la pensée officielle du Hezbollah, proclame qu’il « n’est que trop naturel que les vues du Hezbollah coïncident avec celles de la Syrie, parce que personne n’est à l’abri des ambitions israéliennes », dit qu’il croit en « l’existence de relations stratégiques entre l’Iran et la Syrie » depuis la révolution islamique, et que « la relation avec la Syrie » est « la clef de voûte pour faire face aux grandes obligations régionales » (23). Mais le régime syrien n’est certainement pas motivé par des principes anti-impérialistes – ni même antisionistes. Il a volontairement apporté son aide aux Etats-Unis à l’époque de la première guerre américaine contre l’Irak. Avant cela, en 1976, il est intervenu au Liban pour empêcher que l’alliance de la gauche et des Palestiniens ne remporte la victoire aux premiers stades de la guerre civile, puis, au milieu des années 80, a poursuivi une politique consistant a empêcher les Palestiniens de rétablir des bases armées dans le sud. Qassem admet : « La Syrie a massacré 27 membres du parti (le Hezbollah) lorsqu’elle est entrée dans Beyrouth pour arrêter la guerre civile en 1987 » (24). C’est le secret de Polichinelle que la Syrie s’allierait demain avec Israël (et les USA) si elle pouvait récupérer les hauteurs du Golan, occupées par Israël depuis 1967.


Mais le Hezbollah ne regarde pas seulement du côté de la Syrie. Qassem affirme avec force qu’aucun Etat arabe, aussi compromis soit-il avec l’impérialisme et le sionisme, ne doit être renversé. Ils « doivent adopter une série de changements destinés à apporter la réconciliation avec leurs peuples » (25) et « les forces sociales actives doivent s’employer avec diligence à contribuer à une transformation positive par des moyens politiques, éloignés du conflit armé » (26). Mais « quiconque brandit le slogan de libérer les régimes arabes comme préliminaire à la libération de la Palestine est sur une voie erronée qui ne fait que compliquer la tâche de libération » (27).


Conformément à cette approche, « le Hezbollah a salué l’engagement du Qatar dans le sud. Les Qataris, malgré des liens étroits avec les Etats-Unis et Israël, se voient donner le feu vert pour reconstruire le sud (...) » (28).


(...)


La base de classe du Hezbollah


Le Hezbollah, en s’appuyant sur des accords avec son propre Etat et en rejetant une démarche révolutionnaire envers les autres Etats, court le risque de prendre le même chemin que celui emprunté, pendant de si nombreuses années, par l’OLP. Dans ce cas, sa victoire de l’été ne se traduira pas par une stratégie active de confrontation avec la domination des Palestiniens par l’Etat d’Israël, pas plus qu’avec les plans de l’impérialisme dans la région dans leur ensemble.


En fait, la façon d’opérer du Hezbollah le condamne aux accords et aux compromis. Le réseau des organisations d’aide sociale, qui est si important pour cimenter sa base sociale, n’est pas tombé du ciel. Il doit être financé. Les sources de financement sont essentiellement de deux ordres : d’un Etat iranien dans lequel il existe des forces politiques influentes prêtes à s’entendre avec les USA si l’Iran se voyait accepté comme une puissance régionale significative, et de la classe moyenne chi’ite et d’intérêts commerciaux au Liban et à l’étranger. D’après Hamzah, elles sont constituées par « des donations d’individus, de groupes, de commerces, de sociétés, de banques, fonctionnant tout à fait comme leurs semblables aux Etats-Unis, au Canada, en Amérique latine, en Europe et en Australie » et sur les investissements commerciaux du Hezbollah qui « profitent de l’économie de marché libre du Liban » avec « des douzaines de supermarchés, stations service, magasins, restaurants, entreprises de construction et agences de voyage » (29).


Il n’est donc pas surprenant qu’une organisation qui dépend si étroitement du capitalisme dans son fonctionnement puisse accepter un programme économique « conservateur » (30) à l’intérieur et rejette le renversement des gouvernements arabes voisins. On se rappelle la manière dont le radicalisme social de l’IRA/Sinn Fein a été modéré par sa dépendance de l’argent en provenance de généreux donateurs aux Etats-Unis alors même qu’elle menait une guerre de guérilla dans le Nord de l’Irlande.


Mais fonctionner dans le système risque d’avoir d’autres conséquences pour le Hezbollah, comme cela a été le cas pour l’OLP dans le passé. Cela aboutit à ce que les religieux radicaux, anti-impérialistes et antisionistes, qui sont à la tête de l’organisation dépendent d’une couche de professionnels de la classe moyenne, susceptibles de s’élever dans la hiérarchie sociale, pour alimenter leurs réseaux politiques. « Les candidats ou les listes soutenues par le Hezbollah en 2004 sont constitués essentiellement de représentants des professions libérales – ingénieurs, médecins, avocats et hommes d’affaires » (31). La mise en place pratique de sa politique étant dominée par de tels éléments, il n’est peut-être pas surprenant que les revendications sociales et économiques contenues dans son programme d’action pour les élections locales ne soient guère plus radicales que celles du New Labour (de Tony Blair – NdT) :


« Encourager les citoyens à jouer un rôle plus actif dans le processus de sélection des projets de développement.

« Accroître les fonctions et les pouvoirs des municipalités en matière d’éducation, de santé et d’affaires socio-économiques.

« Impliquer les personnes qualifiées dans des projets de développement.

« Financer les projets de développement à la fois des ressources municipales et des donations.

« Exercer un contrôle sur les travaux publics et empêcher les détournements.

« Rénover les structures physiques et administratives des municipalités et leur fournir des équipements informatiques » (32).

(...)


L’impact de la victoire


Le Hezbollah a remporté une victoire importante au cours de l’été, qui a réduit les prétentions d’Israël et a donné un essor à toutes les forces qui luttent pour un changement fondamental dans tout le Moyen Orient. Mais le Hezbollah ne peut pas être l’outil politique qui réalisera ce changement. Ce n’est pas essentiellement du fait de ses conceptions religieuses, mais parce que sous la surface de ces idées se dissimule un lien avec des forces de classe qui ne peuvent aller au delà d’un certain point dans la confrontation, que ce soit avec Israël ou avec l’impérialisme. Il faut le répéter encore et encore : la victoire contre l’impérialisme dans un pays ne peut être le résultat d’une lutte limitée à ce pays, ou la victoire contre le sionisme d’un combat confiné à la Palestine. Ce qu’il faut, c’est une avancée dans un pays qui puisse déclencher un processus révolutionnaire dans toute la région. La victoire du Hezbollah contribuera à cela dans la mesure où elle donne une vision optimiste de ce qui est possible, de la même façon que la défaite de 1967 avait plongé les militants de la région dans un pessimisme dépressif.


Elle va probablement, dans un premier temps, accroître la force d’attraction de diverses formes d’islamisme. Mais il peut aussi y avoir un changement important dans les versions de l’Islam qui sont populaires. Les défaites du passé ont encouragé des versions étroites de l’Islam, qui mettaient l’accent sur la pureté religieuse, d’une part, et sur des formes élitistes d’action directe individuelle de type djihad, d’autre part. Là où elles ont échoué lamentablement, comme dans la contestation des Etats égyptien et algérien, de nombreux activistes se sont repliés sur des formes douces de réformisme religieux. L’importance donnée au purisme religieux tendait aussi à dresser des interprétations religieuses différentes les unes contre les autres – pas seulement l’Islam contre les autres religions, mais les sunnites contre les chi’ites. De telles divisions pouvaient alors être manipulées aussi bien par l’impérialisme et ses agents, comme au Pakistan ou, de façon beaucoup plus sanglante, en Irak, que par des carriéristes opportunistes cherchant à se constituer une base politique.


La victoire du Hezbollah œuvrera contre ces tendances. L’exemple du Hezbollah servira à montrer que des alliances qui transcendent les barrières religieuses peuvent être conclues. Les régimes arabes sont déjà inquiets de l’impact de la victoire sur leurs propres majorités sunnites. Mais il y a plus. Les victoires élargissent l’horizon des gens, qui aperçoivent des possibilités jusque là insoupçonnées. Et des exemples d’action anti-impérialiste ailleurs dans le monde – comme les manifestations antiguerre en Europe et aux USA, ou le rappel par Hugo Chávez de l’ambassadeur vénézuélien en Israël – peuvent élargir les idées des gens qui voient qu’ils ont des alliés non-musulmans, de la même façon qu’ils ont, dans les régimes arabes en place, des ennemis musulmans.


Dans tout cela, il est essentiel de répéter mille fois que les méthodes du Hezbollah sont à l’opposé de celles d’Al-Qaida. Ce n’est pas seulement parce que le Hezbollah rejette verbalement les méthodes consistant à poser des bombes pour tuer des civils en Occident ou dans le tiers monde, mais parce que ses succès militaires ont dépendu de son travail de masse. Sa limitation, c’est qu’il ne voit pas que le travail de masse est nécessaire parmi ceux qui souffrent de l’impérialisme et de ses alliés capitalistes locaux dans le monde arabe – les travailleurs et paysans d’Egypte, de Syrie, de Jordanie, etc. Sa victoire aidera ceux qui sont conscients de cela à trouver une audience, y compris parmi ceux qui professent des conceptions islamistes.



(Chris Harman est membre du Socialist Workers Party de Grande Bretagne, rédacteur de l’International Socialism Journal et auteur de la brochure The Prophet and the Proletariat (traduite en français sous le titre Islamisme et Révolution). Le texte entier de l’article figure dans le numéro 112 de International Socialism, disponible sur le web sur http://www.isj.org.uk/ )


  1. Ahmad Nizar Hamzeh, In the path of the Hizbullah, Syracuse University Press, 2004, p13

  2. ibid, p11

  3. ibid, p13. Les premiers efforts pour construire un “Mouvement des Démunis » (Movement of the Deprived) furent dus à Musa al-Sadr en 1974 (il disparut au cours d’un voyage en Libye en 1978), mais son premier développement fut bientôt relégué dans l’ombre par le déclenchement de la guerre civile au Liban

  4. ibid, p87

  5. Naim Qassem, Hizbullah : The story from within, Saquibooks, Londres 2005, p74

  6. ibid, pp74-75

  7. Ahmad Nizar Hamzeh, op cit, p89

  8. ibid, p75

  9. ibid, p77

  10. ibid, pp50-55

  11. ibid, p59

  12. ibid, p67

  13. pour un approfondissement du changement du Hezbollah sur cette question, voir Amal Saad-Ghorayeb, Hizbu’llah, politics and religion, Pluto, London, 2002, pp34-59

  14. Naim Qassem, op cit, p31

  15. Ahmad Nizar Hamzeh, op cit, p123

  16. voir ibid, pp105-108

  17. Hamzeh et Qassem parlent tous deux de ces scissions, mais selon des points de vue différents

  18. Ahmad Nizar Hamzeh, op cit, p126

  19. selon une correspondance privée de Simon Assaf à Beyrouth, 6 septembre 2006

  20. cité par Ahmad Nizar Hamzeh, op cit, p121

  21. cité par Gilbert Achcar dans « Lebanon : The 33-Day War and UNSC Resolution 1701 » www.zmag.org/content/showarticle.cfm?ItemID=10767 cet article fournit une excellente version des manoeuvres sur les termes employés dans la résolution

  22. correspondance de Simon Assaf à Beyrouth, 6 septembre 2006

  23. Naim Qassem, op cit, p243

  24. ibid, p240

  25. ibid, p243

  26. ibid, p244

  27. ibid, p245

  28. correspondance de Simon Assaf à Beyrouth, 6 septembre 2006

  29. Naim Qassem, op cit, p64

  30. cette description a été donnée par Gilbert Achcar dans une conversation

  31. Ahmad Nizar Hamzeh, op cit, p135

  32. ibid, p123



(traduit de l’anglais par Jean-Marie Guerlin)