POURQUOI S’OPPOSER A L’IMPERIALISME SIGNIFIE SOUTENIR LA RESISTANCE POURQUOI S’OPPOSER A L’IMPERIALISME SIGNIFIE SOUTENIR LA RESIST

POURQUOI S’OPPOSER A L’IMPERIALISME SIGNIFIE SOUTENIR LA RESISTANCE


par Chris Harman

POURQUOI S’OPPOSER A L’IMPERIALISME SIGNIFIE SOUTENIR LA RESIST

Il y a parfois dans l’histoire d’étranges coïncidences. Par exemple, le mois dernier, George Bush a fait un voyage officiel au Vietnam. En même temps, des cadres dirigeants de son Parti républicain déclaraient que la guerre en Irak était devenue un nouveau Vietnam, que les Etats-Unis étaient en danger de rééditer la défaite honteuse qu’ils avaient subie il y a 31 ans, et qu’il fallait trouver un moyen de sortir du bourbier.

Dans les deux cas, l’impérialisme a poussé les choses jusqu’au bout, provoquant une opposition massive à la fois dans le pays occupé et dans le monde, et a vécu la défaite comme un coup porté à sa capacité d’agir globalement à sa guise.

Cela dit, il y a des gens de gauche qui n’aiment pas cette comparaison. La résistance en Irak, disent-ils, est très différente dans son caractère de la résistance au Vietnam, à tel point que nous ne devons pas souhaiter sa victoire. Ils tirent argument de la présence dans la résistance à la fois de djihadistes et de partisans de Saddam Hussein, et des attentats meurtriers perpétrés par des forces se réclamant aussi bien des chi’ites que des sunnites.

Tout cela semble en effet très différent du Vietnam, où la résistance était dirigée par un parti séculier qui parlait de socialisme et qui avait le projet d’unifier le pays. Mais le soutien à un mouvement de libération ne devrait pas dépendre de qui le dirige à un moment donné.

Un piège dans lequel une grande partie de la gauche est tombée dans les années 60 et 70 consistait à voir en rose les dirigeants de la résistance vietnamienne – comme celle de bien d’autres pays. Ces illusions devraient être dissipées depuis longtemps, ne serait-ce que parce que ceux qui ont pris le pouvoir à l’issue de la lutte de libération accueillent aujourd’hui non seulement Bush le boucher, mais aussi les multinationales exploiteuses dont il est le représentant.

Au moment de la visite de Bush une chaîne de télévision interviewait deux femmes qui avaient connu les chambres de torture américaines pendant la guerre du Vietnam. Elles ne doutaient pas qu’il fallait chasser les Américains, mais elles se plaignaient aussi de la corruption qui affecte le pays aujourd’hui.

On trouve la même colère dans le brillant roman Without A Name, écrit par l’ancienne combattante de la résistance Duong Thu Huong. Un de ses personnages dit, parlant de ceux qui étaient au sommet pendant la guerre :

« Quand ils ont besoin de riz, le peuple, c’est les buffles qui tirent la charrue. Quand ils ont besoin de soldats, ils revêtent le peuple d’uniformes et mettent des fusils dans ses mains. Et à la fin, dans les célébrations, quand vient le temps des banquets, ils mettent le peuple sur un autel et le gavent d’encens et de cendres. Mais la véritable nourriture, c’est toujours pour eux ».

Mais il n’était pas nécessaire, au Vietnam ou ailleurs, d’avoir des illusions sur les dirigeants des mouvements de libération pour les soutenir contre l’impérialisme.

La masse du peuple vietnamien voyait la guerre comme la phase finale d’une lutte de libération qui les avait vus se battre contre les forces d’occupation françaises et japonaises. L’engagement américain était l’élément d’un plan global pour exploiter les peuples du monde entier, et il ne pouvait y avoir aucun progrès au Vietnam tant qu’il n’était pas vaincu, même si les masses vietnamiennes devaient ensuite se retourner contre leurs propres dirigeants.

Mais ce n’est pas tout. En affaiblissant l’impérialisme US, la lutte vietnamienne donnait un encouragement aux luttes ailleurs – le mouvement des Noirs et des femmes aux USA, les rébellions contre le colonialisme portugais en Afrique et le pouvoir blanc en Rhodésie et en Afrique du Sud, les luttes contre le fascisme qui existait toujours en Espagne et au Portugal, et le mouvement des travailleurs au Chili, en Argentine, en France et en Italie.

La même logique s’applique à l’Irak aujourd’hui, malgré l’attitude envers les femmes de certains groupes de résistance et la présence de ceux dont le fanatisme religieux les pousse à tirer aussi bien sur d’autres Irakiens que sur les forces d’occupation.

L’agression américaine en Irak était motivée, de l’aveu même de ceux qui l’ont inspirée, par le désir de promouvoir un « nouveau siècle américain », dont les victimes devaient être les habitants des barrios de Caracas aussi bien que les travailleurs des sweatshops philippins, ceux qui subissent les diktats du FMI et ceux qui triment pour des salaires de misère pour payer les dettes de Barclays et de Citibank, ceux qui croupissent dans les prisons d’Arabie saoudite ou qui meurent de faim en Afrique sub-saharienne.

De la même manière, la résistance irakienne aide indirectement ceux qui seraient les prochains sur la liste si les Américains n’étaient pas empêtrés en Irak. Cela inclut des forces comme le Hezbollah au Liban, et aussi ceux qui, au Vénézuéla et en Bolivie, luttent pour transformer le rêve du « socialisme au 21ème siècle » en réalité.

En Irak même, l’impérialisme US s’est efforcé de nourrir le sectarisme religieux. Diviser pour régner a toujours été un des outils favoris de l’empire – les dirigeants britanniques poussaient les Hindous contre les Musulmans en Inde, les Cinghalais contre les Tamouls au Sri Lanka, et les Turcs contre les Grecs à Chypre.

Les Etats-Unis ont utilisé les mêmes méthodes il y a deux ans et demi face au soulèvement simultané des sunnites à Falloujah et des chi’ites dans le Sud. Ils ont courtisé certains dirigeants chi’ites tout en transformant Falloujah en boucherie. Et ensuite, comme pour encourager les sunnites à écouter les messages sectaires du djihadiste Musab al-Zarqawi, selon lesquels tous les chi’ites étaient des ennemis corrompus, ils ont distribué des postes gouvernementaux aux notables chi’ites les plus véreux.

Il y a en Irak des forces sur le terrain qui résistent au poison distillé par l’occupation. Personne ne peut garantir qu’elles auront finalement gain de cause. Mais la condition pour qu’elles aient une chance, c’est le retrait des sources du poison – les troupes d’occupation qui prennent leurs ordres de ceux qui n’hésiteront pas à recourir à la plus extrême barbarie pour empêcher leur rêve (et notre cauchemar) de leur échapper.

Socialist Review, déc. 2006

(traduit de l’anglais par JM Guerlin)