newitz Original : http://www.alternet.org/story/60298/

Le problème de l'anonymat sur le Web


Annalee Newitz, AlterNet. Envoyé le 20 août 2007.


L'anonymat en ligne est en augmentation, et permet d'écrire, de mentir et de manipuler des informations sans aucun sentiment de responsabilité. Mais qui est en train de se dissimuler ? Indice : ce ne sont pas des blogueurs énervés en pyjama.


Les experts de l'ère d'Internet adorent dire du mal du Web parce que n'importe qui peut y écrire de façon anonyme. Andrew Keen, dont le livre récent Cult of the Amateur est un bon résumé de pourquoi certaines personnes détestent le Web, met l'accent dans ses écrits sur les horreurs de l'anonymat, mettant en contraste les millions d'écrivaillons anonymes du web avec les écrivains honorables et correctement identifiés d'antan. Ce que dit Keen c'est que les gens qui ne mettent pas leur nom sur ce qu'ils ont écrit ne s'en sentent pas responsables ; par conséquent ils n'ont pas de scrupules à mentir ou à déformer leurs sujets. Après tout, un anonyme n'a pas besoin de s'inquiéter de sa réputation – à la différence, par exemple, d'un journaliste du New York Times, dont le nom apparaît à côté de ses articles.


A chaque stéréotype social est associé une caricature, et l' « internaute anonyme » a les siennes. Ils sont toujours décrits comme des hommes, d'abord. Et il est chaque fois décrit comme « un blogueur qui écrit en pyjama dans son sous-sol. » En d'autres mots, cet anonyme n'est pas un professionnel (d'où le pyjama) et probablement pauvre (il habite dans un sous-sol). C'est un nul, un solitaire qui crache à la figure du monde depuis sa cellule sinistre, en se cachant derrière son anonymat et en détruisant les bonnes réputations des gens bien.


Où ce triste petit homme aime-t-il poster ses invectives anonymes ? Sur Wikipédia, bien sûr. Il peut changer n'importe quel article sans laisser son nom, ajouter des mensonges à des biographies d'innocents candidats au municipales et cracher du spam sur les faits. Et la meilleure, c'est que la plupart des gens prennent Wikipédia au sérieux. Il considèrent que c'est une source fiable de savoir malgré le fait que c'est écrit par des blogueurs inconnus en pyjamas dans des sous-sols.


C'est pourquoi j'étais très heureuse quand l'étudiant au California Institute of Technology et savant fou Virgil Griffith a publié son outil logiciel Wikiscanner, qu'on peut utiliser pour vérifier rapidement qui a modifié anonymement des articles de Wikipédia. Voyez-vous, à chaque fois qu'on modifie un article de Wikipedia, l'encyclopédie logue votre adresse IP, qui est unique, et qui peut souvent être tracée jusqu'à un endroit physique, y compris votre lieu de travail.

Même si on pense qu'on est bien caché en écrivant anonymement, ce n'est pas le cas. Wikipédia voit tout.


Et maintenant tout le monde peut tout voir en visitant le site Wikiscanner de Griffith. Il s'avère que toute la propagande et les mensonges anonymes de Wikipédia ne proviennent pas d'habitants de sous-sols du tout – ils viennent du Congrès, de la CIA, du New York Times, du Washington Post et de l'American Civil Liberties Union. Quelqu'un de Halliburton a effacé des informations importantes d'un article sur les crimes de guerre ; Diebold, un fabriquant de machines à voter électroniques a effacé des passages de l'article le concernant sur une action en justice contre lui. Quelqu'un de chez Pepsi a effacé des informations sur les problèmes de santé causés par la boisson. Quelq'un du New York Times a effacé de longs passages de l'article sur le Wall Street Journal. Et bien sûr la CIA a modifié l'article sur la guerre en Irak.


Wikiscanner permet de faire des recherches dans des millions de modifications, de lire l'enregistrement précis de tous les changements effectués. On ne peut pas être sûr de qui exactement à la CIA a modifié l'article sur la guerre en Irak, mais on peut être sûr que les modifications sont venues de quelq'un dans le réseau informatique de la CIA.


Griffith a créé Wikiscanner pour une raison ouvertement politique. Comme il l'a déclaré au Times de Londres, il l'a fait « pour créer des désastres mineurs de relations publiques pour des compagnies et des organisations que je n'aime pas. » Du même coup, cependant, il a révélé quelque chose de beaucoup plus fondamental que le fait que des acolytes de Pepsi et de la CIA ne s'arrêtent devant rien pour faire de la propagande pour leurs patrons : il a sapé le mythe du blogueur anonyme sur Internet.


Il s'avère que ceux qui se cachent derrière l'anonymat en ligne pour des raisons scélérates ou égoïstes ne sont pas des petits mecs en pyjama mais les bastions de la responsabilité eux-mêmes que les pourfendeurs du Web ont déifiés. Ce n'est pas un sale type rancunier qui répand des mensonges sur Wikipédia mais plutôt un membre du gouvernement fédéral ou un journaliste du New York Times. L'anarchie culturel en ligne ne vient pas des hordes de blogueurs mais des mêmes entités qui ont toujours été un danger pour la culture : les grandes entreprises et les gouvernements qui refusent d'assumer la responsabilité de ce qu'ils font.