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Dans son analyse du réformisme, Rappoport est passé à côté de la question fondamentale, car enfin, il ne s'agit pas tant de savoir si les réformes sont désirables que si elles sont possibles. De toute évidence, un parti socialiste, même s'il a pour politique de ne pas revendiquer de réformes, ne peut pas s'en désintéresser totalement si elles améliorent véritablement la condition des salariés. II faut accepter les réformes qui sont offertes et en profiter au maximum. Mais les réformes sociales sont-elles aussi « possibles » que les Possibilistes le suggéraient ? Dans quelle mesure est-il réellement possible de changer les conditions sociales au moyen de la législation ?

Le capitalisme est un système économique qui fonctionne suivant des lois économiques précises, des lois qui peuvent se résumer par « Pas de profit, pas de production ». Autrement dit, si le taux de profit, dans une industrie particulière ou dans l'ensemble de l'économie, tombe trop bas, la production s'arrêtera. Les gouvernements du capitalisme, y compris ceux qui sont formés par des partis réformistes, doivent tenir compte de cette loi économique fondamentale quand ils formulent leur politique et, par-là même, d'éventuelles législations de réformes sociales.

Les partis réformistes qui ont eu régulièrement l'occasion de gouverner le capitalisme, comme le Parti Travailliste en Grande-Bretagne et le SPD en Allemagne, au lieu de transformer le capitalisme en socialisme au moyen d'un train de mesures de réformes sociales (comme ils avaient dit au départ qu'ils le feraient) ont fini par être eux-mêmes transformés en simples gestionnaires du capitalisme, peu différents de leurs rivaux ouvertement pro-capitalistes. Aujourd'hui, ils reconnaissent ouvertement la nécessité de réaliser des profits sous le régime capitaliste et ils n'hésitent pas à employer le pouvoir de l'Etat pour restreindre les salaires et résister aux grèves. En France, le « Parti Socialiste » (c'est ainsi que la SFIO s'est rebaptisée en 1969), n'ayant pas encore la même expérience de gestion du capitalisme a encore des illusions quant à la possibilité de le transformer graduellement, illusions que, s'il venait jamais au pouvoir (seul ou en coalition), la réalité économique lui ferait vite abandonner en lui imposant le fait que dans le capitalisme la priorité doit être donnée aux profits, non aux réformes.

Le capitalisme a besoin de se réformer sans cesse. Les méthodes de production et l'organisation industrielle évoluent constamment sous le régime capitaliste, et les variations des taux de profit amènent le déclin de certaines industries, le développement de certaines autres. La superstructure politique et juridique doit être modifiée parallèlement à ces changements industriels. C'est ainsi que les parlements doivent continuellement voter des réformes pour que l'économie capitaliste fonctionne aussi régulièrement que possible. Ainsi, non seulement le capitalisme peut-il produire des réformes (dans le sens de changements à la législation sociale) mais il lui faut les produire. C'est pourquoi tous les partis d'aujourd'hui, même ceux de droite, font des propositions de réformes du capitalisme et sont donc, en ce sens, réformistes.

En général, les réformes ne sont introduites que dans la mesure où l'une ou l'autre des sections de la classe capitaliste en bénéficie, et si la classe travailleuse se trouve en profiter aussi, c'est purement accidentel. Au XIXe siècle, les travailleurs étaient traités impitoyablement. Ils avaient des salaires de misère. II n'y avait aucune limitation au nombre d'heures de travail journalières ou hebdomadaires. Les conditions de travail étaient dangereuses et malsaines. Quand ils étaient au chômage ou malades ou vieux, ils n'avaient que la charité sur quoi compter. La scolarisation était inexistante ou minimale. Et ils vivaient entassés dans des taudis insalubres. De nos jours, cette situation a changé pour la plupart des salariés (quoique pas pour tous) et les réformistes s'en attribuent une grande part de mérite. Mais en fait, ces pratiques ont été abandonnées parce qu'elles se révélaient peu rentables pour les employeurs capitalistes.

Un travailleur qui est fatigué ou en mauvaise santé ou qui s'inquiète de savoir comment nourrir sa famille est moins productif - et produit donc moins de profits pour son employeur- qu'un travailleur qui est nourri, vêtu et logé correctement. Quelques-uns des plus gros capitalistes s'en étaient rendu compte même au XIXe siècle et ils avaient amélioré volontairement les conditions de vie et de travail de leurs ouvriers. Ils furent récompensés par une productivité accrue et des profits supérieurs. Les capitalistes plus petits étaient plus récalcitrants, soit parce qu'ils ne pouvaient se permettre d'améliorer ces conditions, soit parce qu'ils ne voyaient pas assez loin pour comprendre qu'ils finiraient par en bénéficier. L'Etat eut donc à intervenir et à leur imposer des améliorations de ce genre par le moyen de la législation.

Ce fut l'origine de toute une gamme de mesures sociales - limitation de la journée de travail, sécurité sur le lieu de travail, reconnaissance légale des syndicats, assurance maladie, accident et vieillesse, scolarisation gratuite, logements subventionnés - appelées parfois l'Etat Providence. Mais il n'y a là rien de providentiel: ces mesures sont nécessaires pour assurer une main d’œuvre en bonne santé et bien formée pour faire marcher l'industrie avancée et elles sont donc une nécessité économique pour tout Etat capitaliste moderne. De fait, ce sont aussi souvent des partis ouvertement capitalistes que des partis réformistes qui les ont introduites.

En France, le Front Populaire, élu en 1936, fut un gouvernement réformiste type. Ayant à sa tête le leader de la SFIO, Léon Blum, ce fut essentiellement une coalition entre la SFIO et le Parti Radical avec l'appui parlementaire du « Parti Communiste ». Sous la pression des travailleurs en grève, le gouvernement du Front Populaire introduisit un certain nombre de réformes sociales - la semaine de 40 heures, les congés payés, la représentation syndicale sur le lieu de travail - que, dans d'autres pays, on avait déjà votées ou négociées entre employeurs et syndicats. Autrement dit, le gouvernement Blum aligna la législation sociale en France sur celle du reste du monde capitaliste avancé, et il ne le fit que contraint et forcé par une grève générale. Le gouvernement Blum et ses successeurs se mirent alors à gérer le capitalisme - Blum déclarait ouvertement que son gouvernement avait été élu pour exercer le pouvoir dans le cadre du capitalisme et non pour l'abolir- et ce faisant ils entrèrent, comme cela devait arriver, en conflit avec la classe travailleuse à propos des salaires et des conditions de travail. Ce sont eux qui imposèrent l'arbitrage obligatoire et qui instituèrent de nombreuses dérogations à la loi de 40 heures.

L'une des réformes sociales que l'on a souvent demandé aux salariés de soutenir est la nationalisation. En fait, on dit même que la nationalisation, c'est le socialisme. II n'en est rien. C'est le capitalisme d'Etat où les travailleurs, au lieu d'être exploités par un capitaliste privé, sont exploités par l'Etatpatron. Quand une entreprise est nationalisée, elle est acquise par l'Etat pour la classe capitaliste entière et elle est gérée dans l'intérêt de cette dernière par une direction mise en place par l'Etat. Les entreprises nationalisées produisent toujours en vue de réaliser un profit et, dans certains cas, les anciens propriétaires, ainsi que de nouveaux investisseurs capitalistes, continuent à toucher leur part des bénéfices sous forme d'intérêts sur les bons d'Etat, au lieu des dividendes sur les actions qu'ils percevaient auparavant. Les travailleurs des entreprises nationalisées doivent continuer à s'organiser en syndicats et à faire grève pour protéger leurs salaires et leurs conditions de travail, comme les travailleurs de la SNCF, de l'EDF ou de Renault, par exemple, le savent bien.

D'autres mesures proposées par les réformistes créent simplement d'autres problèmes quand elles sont appliquées, parce qu'elles ne tiennent pas compte des lois économiques du capitalisme. Une loi sur un salaire minimum (tel que le SMIC ) a pour effet d'augmenter le chômage parmi les sections les moins qualifiées et les moins solides de la classe travailleuse qui, s'il n'y avait pas ce minimum légal, seraient capables de trouver un emploi à un salaire au-dessous de ce niveau. Le blocage et le contrôle des loyers conduisent à la détérioration des conditions de logement. Car le contrôle des loyers rend l'investissement dans des habitations à louer moins intéressant que dans d'autres domaines. Les capitaux tendent par conséquent à aller à ces domaines-là, ce qui entraîne des réductions dans la construction et dans l'entretien des logements. Une seconde réforme s'avère alors nécessaire pour essayer de résoudre ce nouveau problème !

L'action politique réformiste échoue parce qu'elle s'attaque aux effets (mauvais logements, mauvaise éducation, mauvais services de santé, etc., etc. ) tout en laissant la cause (le capitalisme et son monopole de classe des moyens de production et sa production pour le profit) intacte. Le fait est que l'on ne peut pas réformer le capitalisme de façon à ce qu'il fonctionne dans l'intérêt de la classe des salariés qui forment la grande majorité des membres de la société capitaliste. Les partis réformistes au pouvoir ne réussissent pas, non parce que leurs leaders sont faibles ou corrompus ou traîtres mais parce que ce qu'ils essayent de faire ne peut pas être fait. Ils tentent l'impossible puisqu'ils veulent faire faire au capitalisme des choses contraires à sa nature. Voilà pourquoi le réformisme est futile et pourquoi des partis comme le soi-disant Parti Socialiste sont voués à l'échec avant même d'avoir commencé.