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Les associations de travailleurs de même métier existent depuis le Moyen Age, mais c'est seulement au milieu du XIXe siècle qu'elles sont devenues des organisations de salariés traitant avec les employeurs sur les salaires et les conditions de travail. Jusqu'alors, elles n'avaient guère été que des sociétés d'entraide, mais même celles-ci avaient été interdites en 1791 par la loi Le Chapelier qui fut plus tard incorporée au code Napoléon. Les associations de travailleurs continuèrent pourtant à exister. Mais elles n'eurent pas le droit de fonctionner ouvertement avant 1864 et ne furent pas complètement légalisées avant 1884.

Dans les années 1860, l'organisation principale de travailleurs en France était l'« Association Internationale des Travailleurs » (AIT) qui avait été fondée en 1864 par des travailleurs français et britanniques. Malgré le fait que Karl Marx avait joué un rôle de première importance dans ses activités, l'AIT n'était pas vraiment une organisation socialiste. Elle s'occupait principalement d'organiser les syndicats et de soutenir les grèves. Elle eut cependant pour effet d'introduire certaines idées socialistes parmi les travailleurs français. Ainsi, en 1869, une «Chambre Fédérale des Sociétés Ouvrières de Paris » affirme avoir pour but ultime « l'émancipation totale des travailleurs dans un ordre social nouveau où le salariat sera aboli » et, en 1870, Leo Frankel déclare (en exagérant un peu) au cours d'un procès contre quelques membres français de l'AIT que « l'Association Internationale n'a pas pour but une augmentation du salaire des travailleurs mais bien l'abolition du salariat » Cette revendication de « l'abolition du salariat » avait été formulée pour la première fois dans les années 1830 et 1840 par les Chartistes britanniques et avait été reprise par Marx dans un exposé qu'il avait fait au Conseil Général de l'AIT en 1865 (publié après sa mort sous forme d'une brochure intitulée Salaire, Prix et Profit que nous recommandons vivement pour une meilleure compréhension du syndicalisme, de son utilité et de ses limites). Celui-ci allait devenir un des principaux slogans du syndicalisme français dans la période allant jusqu'à la première guerre mondiale, une fois le mouvement travailleur reparti après la suppression sanglante de la Commune de Paris en 1871.

En 1895, différents syndicats et autres organisations de travailleurs s'unirent pour former une -Confédération Générale du Travail» (CGT) qui, en 1902, déclara avoir pour but « la disparition du salariat et du patronat » En 1906, la CGT adopta un nouveau programme lors de son congrès d'Amiens. Du fait de l'importance historique de celui-ci, nous donnons cette «Charte d'Amiens » dans son entier:

Le Congrès confédéral d'Amiens confirme l'article 2 constitutif de la CGT disant: « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. » Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose sur le terrain économique les travailleurs en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre 1a classe ouvrière,

Il précise, par les points suivants, cette affirmation théorique: dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs, par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme; il prépare l'émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste; il préconise comme moyen d'action la grève générale, et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera dans l'avenir le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne quotidienne et d'avenir découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous (es travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué de participer en dehors du groupement corporatif, à toutes formes de lutte correspondant à sa conception philosophique au politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organismes confédérés n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes, qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale.

La doctrine exposée ici devint un courant dans le mouvement travailleur que l'on appela « syndicalisme révolutionnaire,>, Certains dirigeants et adhérents CGT seulement acceptaient cette doctrine et considéraient les syndicats et la grève générale comme le seul moyen de renverser le régime capitaliste et d'instaurer une nouvelle société. Le gros des adhérents ne s'intéressaient qu'à « l’œuvre revendicatrice quotidienne», et s'ils étaient parfois prêts à entériner certaines tournures révolutionnaires, c'était pour effrayer leurs patrons et en tirer des salaires plus élevés ou de meilleures conditions de travail.

La Charte n'était pas aussi anti-politique qu'on l'a parfois soutenu. Elle ne proclame pas que syndicat et action politique sont incompatibles, mais seulement qu'on ne devrait pas introduire de divisions politiques à l'intérieur du syndicalisme. En cela, elle fait preuve de sagesse puisque, s'ils veulent réussir à faire une pression efficace sur les patrons pour défendre salaires et conditions de travail, les syndicats doivent regrouper autant de travailleurs que possible, indépendamment de leurs opinions politiques ou philosophiques. Ils sont, et devraient être, composés de travailleurs de toutes opinions. Si l'on y introduit des opinions politiques (y compris les opinions anti-politiques des anarchistes), on risque des divisions, ce qui affaiblit les syndicats face aux patrons. En reconnaissant ceci, la Charte d'Amiens adoptait une position de sagesse (position que l'on oublie malheureusement souvent aujourd'hui).

Les syndicats naissent du rapport salarial qui est à la base du capitalisme. La société capitaliste est divisée en deux classes: la classe capitaliste qui possède et gère les moyens de production et la classe travailleuse dont les membres sont obligés de vendre leur énergie mentale et physique afin de vivre. Le salaire que les travailleurs reçoivent est le prix de leur capacité au travail, appelée techniquement « force de travail » et le prix de cette marchandise oscille autour de sa valeur, déterminée, comme celle de toute autre marchandise, par le temps de travail socialement nécessaire pour la produire et la reproduire, dans ce cas-ci par le coût nécessaire à la formation et à l'entretien du travailleur et de sa famille. Si les travailleurs se faisaient une concurrence illimitée pour trouver du travail, alors les salaires auraient tendance à tomber au-dessous de la valeur de la force de travail, comme cela arrivait souvent au XIXe siècle avant qu'il n'y ait de syndicats vraiment efficaces. En se groupant en syndicats afin de faire peser une pression collective sur les patrons, les travailleurs peuvent empêcher que les salaires ne descendent plus bas que la valeur de leur force de travail. En d'autres termes, c'est une manière de s'assurer qu'on reçoit en paiement la valeur exacte de ce qu'on vend. C'est en cela que les syndicats peuvent être utiles aux travailleurs, mais là s'arrête leur pouvoir. Ils ne peuvent pas faire monter notablement le niveau de vie de leurs adhérents dans le capitalisme, même s'ils peuvent faire en sorte que les salaires ne soient pas réduits au point d'être au-dessous du niveau de subsistance.

Les syndicats sont donc des organisations de défense de la classe travailleuse qui, afin d'être efficaces, doivent recruter tous les travailleurs concernés, le seul critère de recrutement étant qu'ils travaillent pour un salaire dans telle ou telle industrie ou dans tel ou tel métier et non pas qu'ils aient telles ou telles opinions politiques. Ceci signifie qu'ils ne sont pas, et ne peuvent pas être, des organisations révolutionnaires puisqu'ils sont composés aussi bien de non-socialistes que de socialistes. En fait. à l'époque actuelle, la classe travailleuse ne désirant ni ne comprenant toujours pas le socialisme. l'écrasante majorité des syndiqués ne peut être que non-socialiste et donc non-révolutionnaire. II en était ainsi également avant la première guerre mondiale. C'est pourquoi il était absurde de s'attendre, comme le faisaient les syndicalistes révolutionnaires, à ce que les syndicats mènent une action révolutionnaire, puisque cela revenait à attendre une attitude révolutionnaire de la part d'une masse d'individus non-révolutionnaires.

Pour mettre fin au capitalisme, il faudra que la grande majorité des travailleurs en soit d'abord venue à désirer et à bien comprendre ce changement, puisque la nouvelle société socialiste qui sera établie à la place du capitalisme ri e pourra fonctionner qu'avec la participation consciente et active de ses membres. C'est cela que les syndicalistes révolutionnaires ne voulaient pas admettre. Ils se croyaient capables. en tant que minorité agissante, de mener la masse mécontente des travailleurs dans une grève générale contre le capitalisme. Cela aurait inévitablement échoué et causé la mort de nombreux travailleurs innocents, d'autant plus que la position anti-politique des syndicalistes révolutionnaires signifiait que l'Etat, avec les forces de répression à sa disposition, serait resté aux mains d'un gouvernement représentant la classe capitaliste.

Si l'on ne peut pas mettre en question la sincérité des syndicalistes révolutionnaires dans leur désir de mettre fin au capitalisme, on peut se demander s'ils avaient bien compris la nature de la future société qui devait le remplacer. Quand ils suggéraient que la société devrait être organisée à partir de syndicats («le syndicat ... sera dans l'avenir le groupe de production et de répartition. base de réorganisation sociale » ), les syndicalistes révolutionnaires ne faisaient que projeter dans le socialisme les divisions professionnelles et industrielles existant parmi les travailleurs dans le capitalisme. Puisque le socialisme est fondé sur la possession commune ou sociale des moyens de production (c'est-à-dire que la société entière les détient), la propriété syndicale proposée par les syndicalistes révolutionnaires n'était pas du tout le socialisme mais une forme modifiée de propriété non-sociale ou privée.

La première guerre mondiale révéla que non seulement la majorité des adhérents CGT n'étaient pas révolutionnaires mais qu'ils étaient patriotes. A partir de ce moment, les syndicats commencèrent à collaborer avec l'Etat, à s'intégrer dans le système capitaliste, et ce processus continue encore de nos jours, les syndicats étant maintenant représentés dans de nombreuses insti-tutions gouvernementales, nationales et régionales, et subventionnés par l'Etat pour certaines de leurs activités. Le syndicalisme, en d'autres termes, a cessé de se prétendre révolutionnaire, bien que la CGT actuelle ait attendu 1969 pour rayer de ses statuts « la disparition du salariat et du patronat » qui, sur papier, faisait toujours partie de son programme. Cela a mené certains à soutenir que, les syndicats n'étant pas révolutionnaires, ils ne devraient pas recevoir l'appui de ceux qui veulent une révolution sociale mais au contraire leur opposition. Mais ceci ne nous semble ni juste comme critique ni valable comme conclusion.

Les syndicats sont essentiellement des organismes de défense dont le rôle se limite à protéger les salaires et les conditions de travail et c'est là-dessus qu'on devrait juger de leur efficacité ou de leur manque d'efficacité. Selon ce critère, les syndicats existants, malgré leurs nombreuses erreurs (rivalités et manque d'unité, collaboration avec l'Etat et avec certains partis politiques), réussissent en gros à protéger le niveau des salaires et les conditions de travail contre ce que Marx appelait «les empiétements ininterrompus du capital », qui de nos jours se manifestent entre autres par l'inflation.

Les socialistes font partie des syndicats existants et y travaillent pour défendre les salaires et les conditions de travail. Nous ne critiquons pas les syndicats parce qu'ils ne sont pas révolutionnaires, mais nous les critiquons sévèrement lorsqu'ils s'écartent de l'idée fondamentale qu'il y a un antagonisme d'intérêts entre travailleurs et patrons, lorsqu'ils collaborent avec les patrons, l'Etat ou des partis politiques, lorsqu'ils font passer les intérêts corporatifs d'une section particulière de travailleurs avant l'intérêt général de ta classe travailleuse dans son ensemble.

Mais même si les syndicats ne faisaient aucune erreur de ce genre, ce qu'ils pourraient obtenir pour la classe travailleuse resterait très limité. Ce qu'ils peuvent faire, c'est de permettre aux salariés de recevoir en paiement toute la valeur de leur force de travail, mais ils ne peuvent pas empêcher l'exploitation de la classe travailleuse. Cette exploitation est propre au système du salariat et ne peut être abolie qu'avec lui en faisant des moyens de production la possession de la communauté tout entière qui les administrera démocratiquement. Mais cela demande une action politique basée sur une conscience socialiste par un parti politique socialiste, que les syndicats, dont le rôle est défensif et limité, ne peuvent absolument pas remplacer.