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En 1879, à Marseille, un congrès d'organisations industrielles et politiques ouvrières fonda un parti politique nommé « Fédération du Parti des Travailleurs Socialistes ». En grande partie grâce à Jules Guesde, ce nouveau parti adopta le socialisme comme objectif et l'année suivante Guesde fut envoyé à Londres pour rencontrer Marx, qui rédigea un préambule au programme électoral du parti pour les législatives de 1881.

Puisque ce préambule est toujours une très bonne déclaration des principes socialistes, nous le reproduisons en entier:

Considérant

Que l'émancipation de la classe productive est celle de tous les êtres humains sans distinction de sexe ni de race;

Que les producteurs ne sauraient être libres qu'autant qu'ils seront en possession des moyens de production:

Qu'il n'y a que deux formes sous lesquelles les moyens de production peuvent leur appartenir:

1. La forme individuelle qui n'a jamais existé à l'état de fait général et qui est éliminée de plus en plus par le progrès industriel;

2. La forme collective dont les éléments matériels et intellectuels sont constitués par le développement même de la société capitaliste;

Considérant,

Que cette appropriation collective ne peut sortir que de l'action révolutionnaire de la classe productive - ou prolétariat- organisée en parti politique;

Qu'une pareille organisation doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d'instrument de duperie qu'il a été jusqu'ici en instrument d'émancipation; Les travailleurs socialistes français en donnant pour but à leurs efforts, dans l'ordre économique, le retour à la collectivité de fous les moyens de production, ont décidé, comme moyen d'organisation et de lutte, d'entrer dans les élections avec 1e programme minimum suivant:

( L'Egalité, 30 juin 1880)

Cette déclaration contenait un point faible, qui devait se révéler fatal au mouvement social-démocrate, qui s'inspirait des idées de Marx et qui continua à prendre de l'ampleur en Europe jusqu'à la première guerre mondiale. Ce point faible était l'addition d'un « programme minimum » de réformes à atteindre dans le cadre du capitalisme à ce que l'on peut appeler le programme « maximum » de l'établissement du socialisme. Le programme minimum de 1880 était une liste de réformes démocratiques et sociales telles que la liberté complète de la presse, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, une semaine de travail plus courte, un salaire minimum légal et les pensions de vieillesse. Ce dont les socialistes marxistes du début ne se rendaient pas compte (ni Marx lui-même, dans une certaine mesure) était que les nouveaux partis qu'ils avaient fait démarrer allaient revendiquer de telles réformes du capitalisme au détriment de la revendication du socialisme et de la propagation des principes socialistes. A la fin, ces partis devaient évoluer pour devenir de purs et simples partis réformistes, ayant le socialisme comme objectif sur papier seulement. Ce ne fut pas évident tout de suite et, dans les premières années, des gens tels que Guesde et Paul Lafargue firent en France une propagande très utile pour le socialisme.

Le programme minimum de 1880 devint vite un sujet de dispute et conduisit à une scission du parti. Guesde soutint un programme national unique alors que ses adversaires voulaient que l'autonomie soit donnée aux groupes locaux et qu'ils fassent leurs propres programmes. Guesde et ses amis furent dépassés au vote et firent scission pour fonder un nouveau parti, le Parti Ouvrier Français. Leurs adversaires élaborèrent une théorie du changement social qui fut appelée le « possibilisme ».

Les Possibilistes pensaient que le mouvement ouvrier devait rejeter l'idée de l'instauration du socialisme au moyen de la prise insurrectionnelle du pouvoir et devait plutôt poursuivre une stratégie d'amélioration graduelle du sort de la classe travailleuse dans le cadre du capitalisme - obtenir ce qui était «possible» dans l'immédiat - par l'action syndicale et la législation de réformes sociales; le résultat final, disaient-ils, serait le développement graduel d'une société sans classes, sans Etats, et sans argent.

Le Possibilisme (qui fut plus tard soutenu par l'orateur parlementaire Jean Jaurès ) et le « Guesdisme » restèrent les deux stratégies rivales, pour ceux qui se disaient socialistes en France, jusqu'en 1905 lorsque, avec l'aide de l'Internationale Social-Démocrate, un parti unifié se forma pour s'appeler «Section Française de l'Internationale Ouvrière » ( SFIO ). Jaurès devint le chef de file de ce parti, ce qui reflétait le fait que la majorité de ses adhérents étaient ouvertement réformistes.

Guesde et ses amis continuèrent de proclamer qu'ils n'étaient pas des réformistes mais, après que leur parti eut gagné une représentation à la Chambre des Députés en 1893, leur ligne de conduite devint impossible à distinguer de celle des Possibilistes - eux aussi concentraient leur activité à essayer de faire voter par la Chambre des réformes jugées utiles aux travailleurs et c'était sur cette base qu'ils cherchaient à obtenir des voix aux élections. Ce fut en fait cette pratique commune qui rendit l'unité de 1905 possible. Autrement dit, la SFIO fut établie sur la base des pratiques réformistes communes de ses composants et non pas sur des principes socialistes solides, fait qui devait marquer toute son évolution ultérieure.

Le Guesdiste Charles Rappoport donna en 1908 les arguments suivants comme raison pour laquelle les socialistes devraient soutenir les réformes:

On peut désirer ardemment des réformes, sans être pour cela le moins du monde « Réformiste ». Le Réformisme est une méthode, la « Nouvelle Méthode ». Pour le Réformisme, comme doctrine et comme politique, le Socialisme se réduit à un ensemble de réformes qui, ajoutées les unes aux autres, font disparaître le régime capitaliste. C'est le capitalisme brûlé à petit feu, la forteresse capitaliste anéantie pierre par pierre.

Après cet assez bon résumé de la doctrine du réformisme, Rappoport continuait:

Jamais les Socialistes n'accepteront le rôle de guérisseurs du régime capitaliste. Ils seront, par contre, assez cruels pour lui refuser tout secours. Ils réclament sa mort qui est le commencement de notre vie réelle et complète. Est-ce à dire que nous nous refusons à revendiquer des réformes, le plus de réformes possible ? Nous mentirons à notre programme minimum, à la pratique du socialisme international, à notre action quotidienne, politique et syndicale, si nous faisons fi des réformes. Nous nous refusons seulement à remplacer le socialisme par les réformes.

( Le Socialisme, 19 septembre 1908 )

Ce que Rappoport disait en fait, c'est que la différence entre les révolutionnaires et les réformistes était que ces derniers veulent seulement des réformes alors que les premiers veulent des réformes et - plus tard - le socialisme. Autrement dit, dans l'immédiat, tant que le socialisme n'est pas à l'ordre du jour par manque d'un désir majoritaire, les réformistes et les « révolutionnaires » poursuivent ta même politique : ils se battent pour des réformes du capitalisme !

A proprement parler, Rappoport avait raison de dire qu'en principe on peut se battre pour des réformes sans être réformiste. Ce qu'il oubliait, cependant, c'était l'effet sur un parti socialiste d'une conduite impossible à distinguer de celle des réformistes. L'histoire de la social-démocratie européenne avant la première guerre mondiale montre bien que le résultat est la transformation du parti en parti réformiste, c'est-à-dire en parti intéressé uniquement dans la pratique par des réformes du capitalisme.

Le Parti social-démocrate allemand ( SPD ), qui était peut-être le plus « marxiste» de tous ces partis, subit la même dégénération. II était devenu un parti de masse mais sur la base de son programme minimum de réformes sociales et démocratiques à réaliser dans le cadre du capitalisme et non pas sur la base de son objectif socialiste. Sa politique quotidienne était de lutter pour des réformes qui satisferaient son électorat, qui était en réalité réformiste et non-socialiste et dont il devint vite prisonnier. A la fin, à l'intérieur du parti même, il y eut des gens qui disaient que parler de K révolution », même s'il s'agissait seulement d'une phrase vide, risquait de faire perdre des voix potentielles. D'autres, comme Edouard Bernstein à la fin du siècle dernier, affirmaient que le parti devait avoir l'honnêteté intellectuelle de regarder la réalité en face et de devenir un parti réformiste autant dans la doctrine que dans la pratique. Le SPD rejeta cette suggestion de Bernstein, retenant et la pratique réformiste et la phraséologie révolutionnaire. Tôt ou tard, la réalité devait dissiper l'illusion que le SPD était un parti révolutionnaire et, quand éclata la première guerre mondiale, ses députés au Reichstag votèrent loyalement des crédits à la machine de guerre du Kaiser. II fut alors clair pour tout le monde que le SPD avait bien « remplacé le socialisme par les réformes ».

Des Guesdistes comme Rappoport adoptèrent la même position que les dirigeants du SPD : ils déguisèrent (à eux-mêmes autant qu'aux autres) leur pratique réformiste derrière des phrases révolutionnaires; eux aussi avaient remplacé le socialisme par les réformes bien qu'ils aient refusé de le reconnaître. Puisque les Guesdistes étaient toujours une minorité au sein de la SFIO, ce parti ne se trouvait pas dans une position aussi fausse que celle du SPD. La majorité de la SFIO sous Jaurès savait qu'elle était réformiste et n'avait pas honte de l'admettre.

La leçon à tirer de tout ceci, c'est l'impossibilité de combiner un programme minimum de réformes du capitalisme (réforme) avec le programme maximum de l'établissement du socialisme (révolution) et de rester en même temps un parti socialiste. Un parti socialiste, s'il veut rester tel, devrait, contrairement à ce que dit Rappoport, se refuser « à revendiquer des réformes ". C'est la seule façon d'éviter de « remplacer le socialisme par les réformes » d'abord en pratique puis dans la doctrine.

Cette conclusion fut tirée par un petit nombre de gens à l'intérieur du mouvement social-démocrate, surtout dans les pays anglophones. II y avait des membres du Parti Socialiste du Canada, du Parti Socialiste d'Amérique et du Socialist Labor Party d'Amérique qui insistaient pour dire qu'un parti socialiste ne devait pas revendiquer les réformes du capitalisme. En Angleterre, cette politique fut exprimée au sein de la Fédération Sociale-Démocrate par un groupe qui la quitta en 1904 et forma le Parti Socialiste de Grande-Bretagne sans programme minimum.

La contribution du Parti Socialiste de Grande-Bretagne à la théorie socialiste est d'avoir trouvé une solution satisfaisante au problème de la Réforme et de la Révolution, solution basée sur l'utilisation révolutionnaire des institutions de la démocratie politique, y compris les assemblées électives, pour établir le socialisme. Les partis sociaux-démocrates comme le SPD et la SFIO n'avaient utilisé les institutions parlementaires que pour essayer d'obtenir des réformes et on avait généralement supposé que l'action parlementaire ne pouvait être que réformiste. La contribution du PSGB fut de signaler que cette conclusion était fausse et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'une majorité socialiste ne puisse utiliser la démocratie politique pour gagner le pouvoir politique afin de mener à bien la révolution socialiste.

On peut éviter les deux politiques futiles de l'insurrectionisme et du réformisme par la construction d'un parti socialiste composé uniquement de socialistes convaincus, un parti qui ne revendique pas de réformes du capitalisme. Quand la plupart des salariés seront devenus socialistes et se seront organisés, ils pourront utiliser leurs voix afin d'envoyer aux parlements et aux municipalités des délégués qui auront pour mandat d'employer le pouvoir politique pour l'unique acte révolutionnaire qui sera la dépossession de la classe capitaliste par la conversion des moyens de production et de distribution en propriété commune de la société tout entière.