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On peut se demander si le manque de développement industriel et social dans certaines parties du monde pourrait retarder l'établissement du socialisme. C'est ce qu'on appelle parfois le problème des pays « arriérés », mais c'est plus exactement le problème du développement inégal. La réponse est tout simplement non. II n'est pas nécessaire que le monde entier soit industrialisé ni que toute la population du monde soit transformée en salariés non-propriétaires avant que le socialisme puisse être établi.

Débarrassons-nous tout d'abord d'une vision erronée des choses. Les pays sous-développés ne sont pas arriérés parce que les gens qui y vivent sont nés inférieurs à ceux qui vivent dans les pays industrialisés. Le racisme n'a pas de base scientifique. Tous les êtres humains font partie de la même espèce animale, homo sapiens, et tous sont capables d'assimiler la culture moderne en un laps de temps relativement court. Des différences culturelles comme il en existe de nos jours entre les peuples du monde ne sont pas le résultat d'une différence de nature, mais d'une différence d'environnement éducatif. Les peuples d'Europe se trouvèrent être les premiers à mener à bien la révolution industrielle mais, comme le développement ultérieur l'a montré, les peuples des autres continents, quand l'occasion se présenta, furent capables, eux aussi, d'acquérir des compétences industrielles modernes. En Asie, en Afrique et en Amérique latine, des centres d'industrie avancés se développent, dans lesquels la main-d'oeuvre, du haut en bas de l'échelle, est uniquement locale. II s'ensuit, si tant est qu'on ait pu en douter, que tous les êtres humains sont capables de comprendre le socialisme et de le mettre en pratique.

La base matérielle du socialisme est l'organisation industrielle à l'échelon mondial, établie par le capitalisme. La masse des richesses produites dans le monde d'aujourd'hui est produite par le travail coopératif des millions de personnes employées à faire fonctionner cette organisation. Le capitalisme a donné naissance à la classe travailleuse, dont l'intérêt économique est d'établir le socialisme. C'est pourquoi la force du mouvement socialiste viendra des travailleurs salariés des parties du monde soumises à un capitalisme avancé.

Toutefois, le développement industriel n'est en aucune façon également réparti dans le monde. En Europe, en Amérique du Nord, en Australie, au Japon, en Russie, la grande majorité de la population vit et travaille dans des conditions capitalistes de production pour le profit et de salariat, tandis que, dans certaines parties du monde, l'industrie capitaliste n'est qu'une oasis au milieu d'un désert d'agriculture arriérée. Entre ces deux pôles se situent des pays à différents stades de développement industriel. Pour l'instant, tous les êtres humains ne sont pas des salariés non-propriétaires, la plupart des autres étant des paysans encore exploités par des propriétaires fonciers et des usuriers.

Dire qu'une grande partie des gens ne sont pas soumis à des conditions de vie capitalistes ne veut pas dire que leurs vies ne sont pas affectées par ce système. Les fluctuations des prix sur le marché mondial ont une influence directe sur leur niveau de vie, et ils ne peuvent échapper aux conséquences des guerres entre puissances capitalistes. En considération de ce fait, et du fait que la masse des richesses mondiales est produite dans les pays capitalistes, nous pouvons dire que le capitalisme est le système social prédominant dans le monde d'aujourd'hui.

Nous n'acceptons pas la suggestion qu'il faut attendre que la production capitaliste existe partout avant que le socialisme puisse être établi. Le socialisme est possible maintenant et il l'est depuis de nombreuses années, depuis que sa base industrielle existe. Dès que les travailleurs du monde le voudront, ils pourront instaurer la possession commune des moyens de production et de distribution, et amener une production planifiée pour satisfaire les besoins humains.

Le capitalisme à l'échelle mondiale est dépassé depuis longtemps, de telle sorte que son introduction dans les pays non-développés industriellement n'est plus un stade nécessaire au progrès économique. Le socialisme, qui implique l'émancipation de toute l'humanité, peut résoudre aussi bien les problèmes des habitants de ces pays que ceux des travailleurs des pays capitalistes de longue date. Quand le socialisme aura été établi, il n'y aura pas de raison que ces pays ne soient développés dans des conditions radicalement différentes de celles imposées par le capitalisme.

Quels qu'en soient les résultats à long terme, l'impact immédiat du capitalisme sur les sociétés pré-industrielles a été partout désastreux. Cela commença avec la traite des esclaves au tout début du capitalisme, et maintenant cette partie du monde est presque au bord de la famine. Le capitalisme a désagrégé ces sociétés pour faire travailler des ouvriers dans les plantations, au fond des mines et dans les usines qu'il installe. Tout cela a causé de terribles souffrances humaines.

Nous nous refusons à admettre que les gens doivent encore souffrir au nom d'un avenir meilleur. Grâce à la possession commune et à l'orientation de la production vers la satisfaction des besoins humains, le développement industriel pourrait s'effectuer sans les inconvénients qui l'ont toujours accompagné sous le régime capitaliste. Grâce aux connaissances déjà acquises par les médecins, les diététiciens, les sociologues et autres, la transition aux techniques industrielles de production pourrait, dans un monde socialiste, se faire sans ajouter à la misère humaine. Les personnes concernées ne seraient pas des victimes forcées à se transformer en salariés, mais seraient aidées par les gens d'autres parties du monde à devenir membres à part entière de la communauté socialiste, capables de profiter de l'éducation et de l'abondance, capables d'apporter leur propre contribution à la société. S'il arrivait que certains groupes ou personnes ne désirent pas changer de façon de vivre, personne ne les y obligerait, mais il est probable que de tels cas seraient très rares, puisque le capitalisme a déjà désagrégé la plupart des sociétés pré-industrielles et a fait désirer aux gens une vie plus satisfaisante. Développer les régions arriérées du monde sera l'un des problèmes de la société future, mais, comme dans d'autres cas, le socialisme fournira un cadre dans lequel ce problème pourra être résolu rationnellement et humainement.

Etant donné que le capitalisme n'a plus rien de positif à apporter au développement des moyens de production, de distribution et de communication, nous n'appuyons pas les mouvements dits « de libération nationale » et « antiimpérialistes » qui visent à gagner le pouvoir politique dans les pays sousdéveloppés, et, par une impitoyable politique de capitalisme d'Etat (appelé à tort socialisme), à moderniser et à industrialiser les zones qu'ils gouvernent. Beaucoup de ces mouvements, ainsi que les régimes qu'ils installent, s'inspirent du modèle bolchevique. Les bolcheviks, comme nous l'avons vu, étaient une minorité résolue qui prit le pouvoir en Russie en 1917, et qui, par une politique dictatoriale, construisit une économie capitaliste moderne, s'imposant elle-même comme nouvelle classe privilégiée et exploitante. Du point de vue de ceux qui sont gouvernés, l'accession d'une telle classe au pouvoir ne représente qu'un changement de maîtres, avec la perspective de passer de l'état de paysans exploités à celui de salariés exploités. Là encore, cela n'a rien à voir avec le socialisme, et n'est pas du tout nécessaire, puisque le socialisme à l'échelle mondiale est possible depuis longtemps.

Dans la plupart des pays sous-développés, la démocratie politique n'existe pas encore. Leurs gouvernements, qu'ils représentent les propriétaires fonciers ou la classe capitaliste montante, étouffent toutes les critiques et menacent les partis d'opposition et même les syndicats qui cherchent à s'organiser en les accusant de subversion politique. Dans de telles circonstances, l'activité socialiste est très difficile, et les travailleurs (qui d'ailleurs ne représentent qu'une minorité de la population) devraient non seulement s'organiser en parti socialiste, mais aussi lutter pour obtenir la liberté de s'organiser en syndicats ainsi que les droits politiques élémentaires. Comme dans les pays capitalistes avancés, il faudrait pourtant continuer à s'opposer à tous les autres partis, afin de rester parfaitement fidèles aux objectifs socialistes.

On pose parfois des questions aux socialistes sur un autre aspect du développement inégal. II pourrait arriver, en effet, que le mouvement socialiste soit plus développé dans un pays que dans un autre, et qu'il soit en mesure de gagner le pouvoir politique ici mais pas encore ailleurs.

Laissons de côté pour le moment la question de savoir si, oui ou non, une telle situation est réellement une éventualité; nous pouvons dire que cela ne poserait aucun problème si l'on considère le caractère universel du mouvement socialiste. Les gouvernements capitalistes étant organisés sur une base territoriale, chaque parti socialiste a pour tâche de chercher à gagner démocratiquement le pouvoir politique dans le pays où il opère. Cette manière de s'organiser est pratique, voilà tout, mais il n'y a, en réalité, qu'un seul mouvement socialiste, dont les partis socialistes dans les différents pays sont les parties constituantes. Quand le mouvement socialiste s'amplifiera, ses actions seront coordonnées grâce à son organisation mondiale. Dans une situation où les socialistes d'un certain pays seraient en mesure de gagner le pouvoir politique, ce serait au mouvement socialiste dans son ensemble de décider comment agir en fonction de l'état des choses à ce moment-là.

II reste à savoir s'il y aura en fait des différences importantes dans le développement des diverses sections du mouvement socialiste mondial. A présent, dans tous les pays capitalistes avancés, la grande majorité des gens partagent déjà les mêmes idées fondamentales sur la façon dont la société peut et doit être organisée. Ils trouvent normal que les biens soient produits et vendus en vue de réaliser un profit; que les uns soient obligés de travailler comme salariés, tandis que d'autres doivent être employeurs; qu'il doive y avoir des armées et des frontières; et ils pensent qu'on ne peut se passer d'argent, se passer d'acheter et de vendre. Ces idées sont répandues dans le monde entier, et c'est cela qui explique la stabilité actuelle du capitalisme.

C'est Engels qui fit remarquer qu'il y a période révolutionnaire quand les gens commencent à se rendre compte que ce qu'ils avaient cru impossible peut en fait être réalisé. Quand les gens réaliseront qu'il est possible d'avoir un monde sans frontières, sans salaires et sans profit, sans employeurs et sans armées, la révolution socialiste ne sera plus très loin. Les travailleurs du monde entier vivent dans des conditions fondamentalement semblables et sont reliés par un réseau moderne de communication, ce qui fait que lorsqu'ils commenceront à voir le capitalisme sous son vrai jour, cela se produira partout. En effet, il n'y a pas de raison que cela se passe dans un pays et pas dans un autre. L'idée socialiste a un caractère tel qu'elle ne peut se répandre de façon inégale.

II est donc vraisemblable que les partis socialistes seront en mesure de gagner le pouvoir politique dans les pays industriellement avancés à peu près simultanément. II est concevable que dans certains pays moins développés, où la classe travailleuse n'est pas nombreuse, la minorité privilégiée sera capable de se maintenir en place un peu plus longtemps. Mais dès que les travailleurs auront vaincu dans les pays avancés, ils fourniront toute l'aide nécessaire aux socialistes dans le reste du monde.

En résumé, on peut dire que les pays sous-développés présenteront au socialisme un certain problème, mais ne constitueront pas une barrière à l'établissement immédiat du socialisme mondial. Quant au nationalisme et à l'indépendance coloniale, ce sont des affaires qui n'ont rien à voir avec les travailleurs. Partout. dans tous les pays, avancés ou moins avancés, les travailleurs salariés devraient mener la lutte pour le socialisme, qui seul résoudra leurs problèmes.